Qu'elle est belle, cette photo de Jean-Yves Bardin, prise au "centre du Monde", au milieu des Poyeux, cette parcelle mythique de cabernet franc saumurois...
Tout y est, le regard, l'instant, le lieu, la lumière, la marque du temps sur son visage. Charlie Foucault y est magnifique, tel un Vercingétorix trônant au milieu de ces légions de vignes choyées depuis des décennies par son frère Nady et lui. Et avant eux par leurs ancètres, puisque le plus ancien acte notarié date de 1664...
J'ai appris son décès à la cave où je travaille. Il était parti dans la nuit. Fauché par une saloperie de cancer. Nous le savions gravement malade. Je ne fus donc pas étonné d'apprendre cette triste nouvelle.
Bien que je n'ai jamais eu le privilège de le rencontrer, sa mort me touche énormément et paradoxalement, presque intimement.
Car si, dès l'âge de 18 ans, j'ai développé une passion pour le vin, et que je suis aujourd'hui caviste, c'est sans nul doute à cause - ou grâce - aux vins du Clos Rougeard.
Voisin tourangeaux, j'avais déjà développé un goût particulier pour le cabernet franc et le chenin. La découverte du Clos, puis des Poyeux, du Bourg et enfin du Brézé marqua profondément l'apprenti-dégustateur que j'étais. Tout était là : "la concentration et la finesse" (dixit Charly Foucault), la longueur, la complexité, le potentiel de garde.
Oui, un Saumur-Champigny pouvait être l'égal d'un Chambolle-Musigny, d'un Pomerol ou d'une Côte-Rôtie ! Oui, la Vallée de la Loire regorgeaient de grands terroirs qui ne demandaient qu'à être magnifiés ! Non, nous ne devions plus avoir honte des soi-disant "p'tits vins de Loire" ! Et c'est peu-être ça, le plus grand leg des Frères Foucault : avoir donné de la fierté à leurs confrères ligériens. Avoir ouvert la voie.
C'était une révolution sans en être une. Les frères Foucault n'avaient rien changé. Leur père n'avait pas cédé aux sirènes de l'agro-industrie. Ses terres n'avaient jamais vu le moindre gramme de produits chimiques. Au clinquant des cuves inox, ils préféraient continuer à élever patiemment leurs vins en barrique, dans la fraîcheur de leur cave creusée dans le tuffeau.
Quand on pense qu'ils planquaient les grappes tombées pendant les "vendanges en vert", pour ne pas s'attirer les railleries des voisins (à une époque où la quantité de raisins prévalaient trop souvent sur leur qualité), je ne peux que penser à la chanson de cet autre moustachu libertaire...
Dès le départ, j'adhérais totalement à cette approche écologique, à ce "bon sens paysan" (pour une fois que cette expression n'est pas galvaudée !), à ce refus de la mode, à cette logique parcellaire toute bourguignonne.
Le résultat était dans le verre : sublime.
Quittant les fastes des grands crus bordelais, je voulais "boire des gueules", des vins sur lequel je pouvais mettre un visage, qui ressemblaient à leur géniteur et à leur lieu de naissance. Leurs vins concentraient et cristalisaient toutes ces aspirations.
Si, aujourd'hui, je défends tellement ces vins d'auteurs de Loire et d'ailleurs, d'artisans-vignerons respectueux de l'environnement, c'est donc un peu grâce à eux.
Merci, Charly. Merci, Nady. Un immense merci.
Mes pensées et mes sincères condoléances vont à sa famille et à ses proches.
Le lendemain, nous avons levé notre verre en son hommage. Un superbe et fringuant Clos 2007, prouvant une nouvelle fois qu'il n'y a pas de "petit millésime" au Clos Rougeard et qu'il faut laisser faire le temps au temps...