Face à un client, ou lors d'une dégustation, certains mots font souvent peur...
Mais de quoi parle-t-il ? Des termes techniques genre "réduction", "anthocyanes" ou "fermentation malolactique" ? Aussi, mais non. Ceux-là, ils ne font pas vraiment peur. Ils sont juste incompris la plupart du temps, hormis d'une poignée de geek du pinard.
Non, je veux vous parler de mots qui font vraiment, mais VRAIMENT PEEEEUR !
Vous ne voyez toujours pas ?...
OK, je me lance...
(Mais je vous aurais prévenu, accrochez-vous au siège...)
BEAUJOLAAAIS !!!
"AAAAAAHHHHHH !!!!... Non, pas du bojo nouveau !..."
JURAAA !!!
"AU SECOOOOURS !!!... Par pitié, pas un vin éventé !..."
Quoi, vous en voulez encore ???!!!
OK, je vois que vous aimez avoir peur...
Accroche ton dentier, Ginette !...
...
MUUUSSSSCAAAAADET !!!
"HIIIIIII !!!!... Oh non, plutôt boire de l'acide chlorydrique !..."
Voilà. Vous avez bien flippé. Je vous avais prévenu, pourtant. Et encore, je suis sympa, j'aurais pu continuer avec quelques autres noms d'oiseaux de mauvaise augure :
"vins rouges de Loire !" (des p'tits vins à boire glacés, qui ne se gardent pas !...)
"rosé !" (c'est pas du vin !...)
"porto !" (mais c'est plus l'époque du melon !...)
"cru bourgeois" (mais je ne bois que des crus classés, mon bon monsieur !...)
Bref, vous voyez où je veux en venir : les (trop) nombreux A PRIORI qu'ont beaucoup de consommateurs vis-à-vis de tel ou tel vin ou appellation...
Pas tous les jours facile de travailler à l'extension du domaine de la lutte...
C'est drôle, pendant que j'écris ses lignes, je regarde d'un oeil distrait - j'écoute surtout - Led Zep jouant Stairway to Heaven (fabuleux live @ Earl's Court en 1971). Et je me dis qu'il est bien triste qu'autant de gens soient si bornés, et surtout si dénués d'ouverture d'esprit et de curiosité. Dommage pour eux, finalement, ils passeront simplement à côté d'innombrables plaisirs bachiques, comme autant de marches vers le paradis gustatif...
En parlant du Muscadet - puisque c'est de cet horrible épouvantail dont je veux vous parler aujourd'hui - il me revient en mémoire les commentaires d'un client à l'approche des fêtes de fin d'année. Visiblement aisé financièrement, et recevant ses beaux-parents - lesquels, vous vous en doutez, ne buvaient que des "grands crus" (sic) - ce monsieur souhaitait donc épater la galerie (en mode "le prix n'est pas un problème").
"Pas de problème, mec. Balance ton menu, qu'on rigole".
Pour chaque plat, je l'oriente donc vers de "belles" bouteilles (chères, mais pas trop quand même), de celles qui font bien devant Beau-Papa. Des noms qui parlent, même si on n'en a jamais bu : Chablis, Sancerre, Côte-Rôtie, Châteauneuf-du-Pape, Saint-Emilion, Pauillac... Bref, ceux-qui font bien sur la table dominical. Qui pose son homme. Qui marque socialement. Et s'il y a écrit "Grand Cru" dessus, c'est mieux.
"Et qu'avez-vous prévu en entrée ?
- Des huîtres.
- Dans ce cas-là, je vous conseille un vin blanc bien sec, avec une belle vivacité (surtout, ne pas prononcer "acidité", ça fait flipper le quidam moyen) et un côté un peu iodé. Je vous propose cet excellent Muscadet (à 5-6 euros la bouteille)".
Je me rappellerai toujours de sa réponse :
"Quoi, vous vous foutez d'ma gueule (car oui, les gens sont toujours aimables et polis) ? J'vais passer pour un con si je sers du Muscadet. Vous n'avez pas autre chose (traduction : "je ne suis pas un clodo, sors-moi une bouteille à 15 euros minimum"), un Condrieu par exemple ?"
Réflexion à moi-même : "Quoi, du viognier sur des huîtres ? Mais pourquoi pas servir carrément un jus d'abricot, ducon !!!... Et pourquoi pas un Sauternes ?...".
Moment de solitude. Mais on reste zen. On insiste un peu, précisant que c'est quand même l'un des plus jolis accords, qu'il y a d'excellents vins dans le Muscadet. Mais on voit rapidement que c'est un cas perdu. Le mec ne boira que de jolies étiquettes "qui brillent".
Que lui ai-je conseillé, pour finir ? Je ne sais plus, sans doute un grand "classique" pour ne pas apeurer sa bourgeoise de belle-doche : un petit Chablis ou un Sancerre bien variétal, sans doute, deux ou trois fois plus cher.
"Tant mieux commercialement", vous me direz. Avant d'ajouter : "si ça lui fait plaisir de boire des étiquettes... l'important, c'est qu'il soit content et qu'il ait envie de revenir t'acheter du vin...". Et vous aurez raison, bien sûr. Sauf que parfois, c'est vraiment désespérant.
Autre exemple récent, je vais depuis quelques temps dans un club d'oenologie. Le principe est sympa : à tour de rôle, chacun est invité à monter une dégustation thématique. Et là, je propose de leur faire goûter une sélection de muscadets "haut de gamme", taillés pour la "garde", histoire justement de casser quelques a priori.
Les réactions diverses ne tardent pas à fuser. Si quelques-uns s'enthousiasment, je vois bien que ça ne fait pas rêver la majorité. Certains s'étonnent poliment (ah bon, il y a des muscadets de "garde" ?), voire ricannent gentiment (merci, mais je tiens à mon foie).
Etc, etc.
Inutile de vous faire un dessin.
Bref, je leur ai concocté une sélection aux p'tit oignons, en essayant de représenter les différentes régions du Muscadet (Sèvre-et-Maine, Côtes-de-Grandlieu, Coteaux-de-la-Loire), et m'attachant à montrer l'incroyable diversité de terroirs de ce vignoble (amphipolite, gabbro, gneiss, orthogneiss, granit, micaschiste, roches magmatiques...).
Dans le désordre :
Muscadet Côtes-de-Grandlieu 2011
Domaine de l'Aujardière - Eric Chevalier
Clos de la Fèvrie 2010
Domaine Le Fay d'Homme - Vincent Caillé
Rubis de la Sanguèze 2010
Clos de la Barillère - Xavier Gouraud
Nectar de l'Erdre 2009
Domaine de Port Jean - Daniel et Cyrille Becavin
One 2011
Domaine du Grand Mouton - Marie-Luce Métaireau et JF Guilbaud
Gneiss 2012
Domaine de l'Ecu - Guy Bossard et Frédéric Niger Van Herck
Orthogneiss 2011 (Domaine de l'Ecu)
Granit 2011 (Domaine de l'Ecu)
Les Dabinières 2012
Domaine Bonnet-Huteau - Rémi et Jean-Jacques Bonnet
Les Gautronnières 2012
(Domaine Bonnet-Huteau)
Les Laures 2011
(Domaine Bonnet-Huteau)
A ceux-là, j'aurais pu en ajouter bien d'autres, parmi les pionniers de ce renouveau qualitatif :
Jo Landron, Luneau-Papin, Bruno Cormerais... ou encore
Jérôme Bretaudeau (j'ai découvert ses vins à la dernière édition de la Dive Bouteille, je me suis pris une énÔrme claque).
Si les avis ont pu diverger sur certains vins, tous ont été surpris par la complexité et la variété des profils aromatiques, souvent bien éloignés de l'image "classique" que l'on peut avoir du Muscadet. Et de reconnaître l'incroyable rapport qualité-prix-plaisir de ces vins
(entre 6 et 15 €) ! A l'aveugle, peu de dégustateurs auraient placé ces vins en Loire-Atlantique... comme l'ont prouvé par le passé d'autres dégustations à l'aveugle "opposant" Muscadet et grands vins blancs d'autres vignobles, comme
celle-ci.
Et de se rendre compte de l'aspect "gastronomique" de ces vins raffinés, qui ne sont pas destinés à être bu uniquement avec des produits de la mer, mais aussi des plats épicés, exotiques, des viandes blanches, des fromages...
Malheureusement, cette région viticole souffre encore d'une image déplorable pour beaucoup, liée en grande partie à une stratégie quantitative plus que qualitative de la grande majorité des vignerons nantais
(70% est vendu au négoce).
Ce vignoble se remet péniblement de la
terrible crise de 2008, qui a conduit à
l'arrachage de près de 20% du vignoble.
Comme l'écrit le journaliste de
Breizh-Info dans son article
"Muscadet : le dernier des grands vins blancs" :
"Rien n’y fait ! Le désamour entre les Nantais et le Muscadet paraît manifeste. Ce divorce résulte de trois longues décennies d’errements, durant lesquelles, une production de grande diffusion, assise sur une production libérale, s’est appliquée à discréditer le grand potentiel du terroir".
Pour lutter contre cet état de fait, l'association
Les Vignes de Nantes s'est créée, regroupant la majorité des meilleurs vignerons de l'appellation, dont les vins sont pourtant présents sur les plus belles tables de la planète.
Quant à moi, je vais poursuivre le combat pour la reconnaissance des grands vins du Muscadet, en servant ce soir à nos convives cette magnifique cuvée
"Haute-Tradition" 2010 de Jo Landron, pour magnifier un plat oriental...
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Mots-clés : Muscadet,
Melon de Bourgogne,
Jo Landron,
Domaine de la Louvetrie,
Haute-Tradition,
Vignes de Nantes