Portrait de Brasseur #5 : la Brasserie Thiriez Version imprimable


Rendons à César ce qui appartient à César, Daniel Thiriez, en créant en 1996 la brasserie qui porte son nom, a fait indéniablement partie des pionniers du renouveau de la brasserie artisanale dans le Nord-Pas-de-Calais.

Hormis les brasseries "historiques" (devenues aujourd'hui semi-industrielles) comme Castelain (Ch'ti, créée en 1926), Duyck (Jenlain, créée en 1922) ou Saint-Sylvestre (Trois Monts, dont la création daterait d'avant la Révolution), le paysage brassicole artisanale de l'époque dans la région se résumait peu ou prou aux (par ailleurs excellentes) brasseries Au Baron (Cuvée des Jonquilles, créée en 1989) et Beck (Hommelpap, créée en 1992). Le marché était complètement concentré entre les mains des industriels. On était donc à des années-lumières de la dynamique actuelle !
 
Qu'est-ce qui a donc poussé ce diplômé en Sciences Politiques et Histoire à quitter son poste de DRH chez Auchan (à l'époque, Empire en pleine expansion) pour se lancer dans la fabrication de bières artisanales, à la stupéfaction générale ?

Comme toujours dans ces changements de vie, une conjonction de facteurs. En premier lieu, une volonté farouche d'indépendance et de création. En second lieu, un souhait d'harmoniser vie professionnelle et vie familiale, en choisissant son cadre de vie.

Mais pourquoi la bière plutôt qu'une autre activité économique, me direz-vous ?

Et bien, il se trouve que Daniel Thiriez fût l'un des premiers brasseurs amateurs dans les années 70, alors étudiant à Paris et intéressé par la chimie. Durant les années 80, il assista à l'éclosion des brasseries artisanales dans le reste du Monde, notamment en Amérique du Nord (USA, Canada), en Belgique et Royaume-Uni. Ce qui renforça chez lui une intime conviction : "je pensais que le marché des bières artisanales avait un avenir considérable, la domination industrielle n'étant pour moi qu'une anomalie complète"  avant de poursuivre avec ce proverbe qui allait devenir son mantra : "l'herbe pousse entre les pattes de l'éléphant". Et de résumer ainsi : "j'étais persuadé que l'uniformisation des goûts proposés par les industriels laissait de facto un champs considérable aux véritables artisans".

Il semblerait bien que son parcours et que le renouveau actuel partout dans le Monde des brasseries artisanales lui ait donné raison !
 

Avec une telle philosophe, pas étonnant que je tombe nez-à-nez sur l'affiche "Epaulé, Jeté" des célèbres vignerons bourgueillois Catherine et Pierre Breton, en rentrant dans la salle de dégustation.

Plus je rencontre de brasseurs artisanaux, et plus les liens de parenté avec leurs cousins artisan-vignerons me sautent aux yeux, dans les valeurs communes défendues et leur philosophie de travail.
 

Daniel Thiriez, "l'artisan de l'amer", comme l'a joliment titré un jour un journaliste
 
A une époque pas si lointaine où Internet et les réseaux sociaux n'existaient pas, sans aucun réseau ni contact dans la profession, il lui fallut 2 ans pour monter son projet. Il suivit alors des formations et stages à l'IFBM de Nancy et au département bière de l'Institut Meurice à Bruxelles.
 

Il s'installa à Esquelbecq dans les Flandres (59), en acquérant une brasserie neuve italienne d'une capacité de production de 6 hectolitres, avec laquelle il travailla pendant 10 ans. Avant d'investir il y a 7 ans dans un nouvel outil de production semi-automatique de 20 hectolitres, qui lui permet de produire environ 1800 hectolitres par an.
 

"Je suis partisan d'une croissance durable, à savoir pas à tout prix et doucement. Les hectos ne m'intéressent pas. L'entreprise est restée très familiale (5 personnes) et ce qui m'intéressent, c'est de produire des bières qui me conviennent".

Vous l'aurez compris, point d'étude de marché avant de lancer une nouvelle bière !

Dans ses influences principales, il cite volontiers certaines bières régionales comme Jenlain ou la Cuvée des Jonquilles, mais surtout les bières de type "saison" de la Brasserie Dupont (Belgique). A savoir donc, des bières plutôt sèches, amères et légères.

Les houblons utilisés sont principalement européens : France (Nord-Pas-de-Calais et Alsace), République Tchèque, Royaume-Uni, avec comme exception ceux d'origine américaine pour la Dalva.

"J'essaie de produire des bières avec beaucoup de saveurs et de parfums, de longueur en bouche et avec le moins d'alcool possible".

Il se dit également très influencé par ses confrères américains (il est très attaché aux USA, qu'il connait bien, son épouse étant nord-américaine) : "ils sont extrêmement inventifs, ils osent tout (même si je ne suis adepte de barley wine à 12° ou d'imperial stout à 14°). Avec 10 ans de retard, tout le monde sort ici des IPA (India Pale Ale, bière très houblonnée) avec des houblons américains. Le style "saison" est aussi très en vogue aux USA"

Ce qui explique ses collaborations régulières avec des brasseurs américains, d'influence européenne (saison, gueuze), comme  Jester King (Texas), Oxbow (Maine) ou Saint-Somewhere (Floride)


Pas étonnant donc qu'il produise la Dalva, une double IPA dans le plus pur style anglo-saxon, qui tire son nom du roman de l'écrivain américain Jim Harrison, dans lequel il écrivait : "une seule bouteille de bière suffit à engendrer un flot de grands pensées...".

Dès la création de la brasserie, il a sélectionné auprès de l'Institut Meurice une souche de levure spécifique (de type "saison"), dont il a l'exclusivité, et qui apporte une véritable signature à l'ensemble de sa gamme. Toutes ses bières sont non filtrées, sans aucun additif et élevées sur lies.

 
Et parfois même en fûts comme cette Dalva millésimée...


Mais bien avant la Dalva - et pour ne parler que des principales bières - il y eut d'abord la Blonde d'Esquelbecq (bière de garde houblonnée, en 1996) et l'Ambrée d'Esquelbecq (à la base une bière de noël très légèrement épicée, en 1997).

Puis la Rouge Flamande en 1999, sa première bière de commande, une bière événementielle (*) devenue depuis un succès. En termes d'étiquette, celle-ci marqua un tournant, puisque dès lors il n'y eut plus d'unité visuelle, chaque bière ayant sa propre personnalité.
 

Puis naquit La Petite Princesse, véritable plaidoyer pour réhabiliter les "bières de table" (2-3°), à une époque où la majorité des bières de ce type avaient mauvaise presse (ce qui n'étaient pas injustifié, d'ailleurs). Une bière à contre-courant, pas à la mode, "très délicate à brasser". La bière préférée de son épouse. "Militant anti-sucre", Daniel Thiriez est certain que les gens vont retrouver le goût des bières légères, mais qui ont du goût. Pour vous convaincre, buvez-en une en plein été sous le parasol. Vous verrez, l'essayer c'est l'adopter.
 

En 2000, une nouvelle étape est franchie avec L'étoile du Nord, fruit d'un partenariat avec John Davidson de la Brasserie Swale (UK). Une bière blonde, légère et bien houblonnée, élaborée avec un houblon du Kent nommé Bramling Cross.


"A l'époque, nous l'avions produite par plaisir. il n'y avait pas de marché localement pour ce type de bière. Les ventes ont réellement commencé à décoller en 2002, via mon importateur américain (le même que la Brasserie de la Senne) qui, après l'avoir goûté, m'a commandé 2 palettes. Cela m'a donné confiance !".

Depuis, Daniel Thiriez poursuit son chemin, expérimente et continue à élaborer ses recettes (La Biobière, La Maline, Les Quebecoises, La Vieille Brune...).

Dernière collaboration en date, cette Train to Mars, produite avec et pour la Cave à Bulles à Paris, une "bière de type saison à l'américaine, houblonnée à cru, avec des houblons Aramis (Alsace), Mosaïc et Simcoe (USA).
 
 
"A "Saison de Mars" hopped with Mosaic, Aramis, Simcoe
and fermented with the world famous Thiriez house yeast".
 

Des travaux d'extension ont débuté le 28 avril dernier. Fidèle à sa théorie de la "croissance durable", la brasserie s'agrandit doucement mais sûrement...
 
 
Brasserie Thiriez
22 rue de Wormhout
59470 ESQUELBECQ
Ouverte du lundi au samedi : 9h-12h30 / 14h-19h


(*) La Rouge Flamande est le nom d'une race locale de vache laitière, c'était une commande des éleveurs pour l'inauguration d'une statue de l'animal à Bergues.




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Portrait de Brasseur #4 : la Brasserie Cambier Version imprimable


Jean-Christophe Cambier
est un homme pressé. A tout juste 31 ans, ce passionné de bières "depuis l'âge de 15 ans" vient d'ouvrir à Croix (59) sa "fabrique urbaine de bières artisanales" en janvier 2015.

Je dis pressé, mais ce n'est sans doute pas le bon adjectif. Fonceur sans doute, mais je dirais plutôt méticuleux et cartésien. En un mot, scientifique. Bref, un mec qui sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait, avec une âme d'artisan et une sensibilité au produit très marquée. Car s'il y a bien une chose qui m'a frappée en discutant avec lui, c'est bien la logique et la cohérence de son projet !
 

 
Cet ingénieur en agroalimentaire, après une expérience comme technologue (responsable process) dans une grande brasserie industrielle, décide en 2013 de créer sa propre entreprise. Pour ce faire, il approfondit ses connaissances (sur le houblonnage, notamment) en réalisant un stage chez De Ranke à Mouscron (Belgique) puis une formation complémentaire au Lycée Agricole de Douai.

Il prend également contact avec un laboratoire belge, spécialisé dans la fermentation haute, afin que ce dernier élabore une levure spécifique. La levure "Cambier" est née, aux notes fleuries et épicées.

Durant une année, il enchaîne les brassins à la maison pour élaborer ses différentes recettes et peaufine le concept de sa brasserie : une fabrique urbaine de bières artisanales, ouverte au public, comprenant un bar avec vue sur les cuves.
 
 
 
 

 

 
Car il s'agit bien pour lui d'en faire un lieu de découverte et d'éducation sur la fabrication de bières artisanales !
 

Ainsi, il propose le samedi des visites commentées (10h30 et 14h30), suivies de dégustation, qui rencontrent depuis l'ouverture un franc succès. Et Jean-Christophe de se réjouir de la curiosité des visiteurs : "les gens sont preneurs d'infos, ils ont de plus en plus envie de savoir d'où vient le produit et comment il est élaboré".


Son credo est donc la transparence : alors que la majorité des brasseurs garde jalousement secrètes leurs recettes, Jean-Chritophe indique énormément d'informations sur ces étiquettes : style de la bière, degré alcoolique, ingrédients, IBU ("taux d'amertume")...
 

Et pour le coup, les ingrédients sont plutôt classiques, partant du principe que "les recettes les plus simples sont souvent les meilleures".

Pour commencer, Jean-Christophe a élaboré une série de 4 bières blondes, commercialisées dans tous les formats (33cl, 75cl et fûts), sous le nom de MONGY, en référence à Etienne Mongy, le concepteur du réseau de tramway Lille-Roubaix-Tourcoing.
 
 
La MONGY blonde, fraîche et désaltérante, au nez fin et délicat, à la fois floral et épicé.
 
 
La MONGY blonde "houblonnée", à mi-chemin entre la blonde et l'IPA.
 
 
La MONGY Triple, puissante et aromatique, au nez à la fois fruité, épicé et terreux.
Cette bière a reçu une médaille d'argent au Concours Général Agricole 2015.
 


La MONGY India Pale Ale, amère et très aromatique,
au nez complexe, à la fois floral et fruité (agrumes).

 
En découvrant son magnifique verre, on saisit d'autant plus le lien étroit entre brasseur artisanal et vigneron indépendant !

Conclusion : j'ai été bluffé par le niveau des bières. en particulier leur finesse et leur précision aromatique. Gustativement, les bières sont "sèches", mais Jean-Christophe conserve néanmoins quelques sucres résiduels pour ne pas trop faire ressortir l'amertume. La levure spécifique employée apporte une réelle signature à l'ensemble de la gamme. Les houblons utilisés ne sont pas dans un style "surexpressif", ce qui me plaît beaucoup, ils apportent au contraire de l'équilibre et de la fraîcheur au produit.

Avec des débuts aussi prometteurs, on attend avec impatience la suite de ses aventures !
 
Brasserie Cambier
Bâtiment M - 2 rue Jean Monnet
59170 CROIX
Tél. 09 67 37 28 19
 


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Portrait de Brasseur #3 : la Micro-Brasserie du Vieux-Lille Version imprimable

Il y a peu, la rue Jean-Jacques Rousseau dans le Vieux-Lille, était principalement connue des oiseaux nocturnes pour les célèbres ti punchs et autres douceurs créoles du bar La Pirogue... Mais ça, c'était avant que n'ouvre une nouvelle é-choppe, arborant fièrement un autre oiseau de nuit (le logo est un hibou) et se targuant de proposer une large sélection de bières artisanales du monde entier !

 

 
Il n'en fallait pas plus pour piquer ma curiosité et disons-le tout net, me donner soif. Cette première surprise à peine dissipée, v'là t'y pas que je découvre que cette sympathique entreprise est bicéphale, à la fois cave à bières (ouverte fin juillet 2014) ET micro-brasserie (début de la production fin octobre 2014) !
 

 

 



 
Je décidais alors de rencontrer le maître des lieux, Amaury d'Herbigny, afin d'en savoir plus sur la genèse du projet, sa philosophie de travail et sa sélection de bières.
 

 
Figurez-vous qu'Amaury renoue avec une tradition familiale débutée en 1740, date à laquelle son aïeul, Célestin Cordonnier, décide de racheter la Brasserie du Cygne sur le port d'Haubourdin (59). Créée au XVIème, et située près l'emplacement de la nouvelle mairie, c'était le plus ancien établissement connu sur cette commune, qui attirait à cette époque tous les hommes de l'agglomération qui désiraient consommer des boissons alcoolisées à peu de frais, au grand dam des édiles lillois. Car Haubourdin a compté jusqu'à 170 estaminets ! Cette tradition provenait de l'époque féodale lors de laquelle elle avait été exemptée de taxes par ses seigneurs.
 

Rebaptisée du nom de son propriétaire, elle étanchera la soif des ch'timis jusqu'à sa revente en 1956, période maudite de l'après-guerre marquée la quasi-disparition des brasseries artisanales au profit des industriels dans le Nord-Pas-de-Calais (et ailleurs).
 

La gamme de l'époque comprenait la Bock du Cygne, la Célestin Cordonnier, la Derby Export, la Luxe Céleste et la Triple Brune.


 
Amaury n'a donc pas connu la brasserie familiale en activité, contrairement à son père, qui lui a transmis le virus et la passion pour les bonnes bières artisanales. Alors salarié en région parisienne dans un autre secteur, l'envie lui prend de créer sa propre structure et de reprendre le flambeau familial, devenant ainsi la 9ème génération de brasseurs !

Attardons-nous d'abord un instant sur cette sélection de plus de 400 bières. La philosophie affichée est claire : ne proposer que des bières artisanales que l'on ne retrouve pas en Grande Distribution, à part de notables exceptions (car la GD dans le Nord-Pas-de-Calais propose des rayons de bières de plus en plus étoffés, au grand dam des cavistes...).

L'accent est bien sûr mis en premier lieu sur les brasseries régionales, à commencer par la Brasserie Thiriez, bien sûr (Daniel Tiriez fût l'un des fers de lance de la renaissance des brasseries artisanales dans la région il y a environ 20 ans) et ses "descendants" : Pays Flamand, Saint-Germain (Page 24), Au Baron (Cuvée des Jonquilles), Les 2 Caps, PVLCraig Allan (Agent Provocateur, Psychédélia, Cuvée d'Oscar)...

En second lieu, vous y trouverez une sélection de bières artisanales d'autres régions françaises.

Ensuite, l'accent est (évidemment) mis sur les bières belges, en essayant autant que possible de sortir des sentiers battus. Vous y trouverez donc, à côté des vénérables trappistes et autres références incontournables, des brasseries avec le vent en poupe parmi les amateurs comme les bruxelloises Cantillon et Brasserie de la Senne, les flamandes Rodenbach, Boon et Halve De Maan... pour n'en citer qu'une poignée.

Sur l'agglomération lilloise, on peut trouver toutes ces références facilement chez de nombreux concurrents. Ce que je trouve particulièrement intéressant, du coup, c'est sa sélection de bières d'autres pays européens et du reste du monde : Brewdog (Ecosse), Hopgoblin (Angleterre), Evil Twin (Danemark), De Molen (Hollande), Naparbier (Espagne), Flyingdog (USA)...

Parlons à présent de la Micro-Brasserie du Vieux-Lille !

Comme indiqué précédemment, Amaury a produit et mis en vente en décembre dernier une première bière blonde titrant 6,5° baptisée LA DIX, le nombre de variétés de houblons qui sont incorporés au malt d'orge. Non filtrée et refermentée en bouteille, elle reprend les bases d'une ancienne recette de la brasserie familiale, qu'Amaury a retravaillé.
 

D'une couleur orangée et légèrement trouble, son nez est marqué par les arômes de céréales maltés et des notes de fruits secs et de zest d'orange. Gustativement, point de sucres résiduels, c'est une bière "sèche" avec du caractère comme je le aime, avec une acidité franche  qui la rend bien équilibrée et digeste ! Le plus étonnant, c'est que malgré le nombre de variétés de houblons utilisés, elle est finalement "normalement" houblonnée, l'idée n'étant pas de produire une IPA.
 
 
La production est de 500 litres par brassin (2 brassins de 250L sur 2 jours, assemblés dans une cuve de 500L). C'est actuellement le second brassin qui est à la vente à la boutique. Prochaine étape, une bière ambrée. Affaire à suivre, donc !...
 
Les Bières de Célestin
19 rue Jean-Jacques Rousseau
59800 Lille
Tél. 09 82 22 39 40

Ouvert le mardi de 15h à 20h,
du mercredi au samedi de 11h à 20h


 


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Portrait de Brasseur #2 : la Brasserie des 2 Caps Version imprimable


Entre les falaises calcaires abruptes du Cap Blanc Nez et les cinquantes nuances de grès du Cap Gris Nez s'étire une longue plage de sable blanc d'où, par temps clair, on aperçoit les côtes britanniques...


De la jolie plage de Sangatte - commune malheureusement plus connue du grand public pour ses camps d'immigrés clandestins que pour ses attraits touristiques - aux cabines de plages au charme désuet de Wimereux, en passant par Ambleteuse et son Fort Vauban, les villages de bord de mer s'égrènent au fil d'une route qui serpente entre les champs de colza et de céréales...
 

 
A l'instar de la Baie de Somme, du Marais Poitevin ou de la Camargue Gardoise, le Grand Site des 2 Caps est classé "Grand Site de France" depuis 2011.
 


Le Fort d'Ambleteuse construit par Vauban,
sauvé de la ruine par une association

Je l'avoue humblement : avant de venir habiter dans la région, je n'avais jamais entendu parler de ces endroits merveilleux - très prisés des touristes britanniques et belges - n'ayant jamais traîné mes guêtres en vacances au-delà des falaises normandes, trop attiré par les sirènes du Sud...

Et pourtant, comment ne pas succomber aux charmes de la Baie de Somme et de la Côte d'Opale ?!...
 

Pour les amateurs de bières artisanales, la Brasserie des 2 Caps figure en tête des merveilles de la Côte d'Opale. Créée en 2003 par Christophe et Alexia Noyon, lui ingénieur agricole ayant suivi un master de brasserie à l’Université de Louvains-la-Neuve (Belgique) et elle, diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce d’Angers, la brasserie est située sur la ferme familiale de Belle Dalle, à Tardinghen.
 


Au loin à droite, on aperçoit le Cap Blanc Nez...


La Ferme de Belle Dalle est une grande et belle maison en pierre du Boulonnais du XVIIIème siècle, dotée d’un splendide pigeonnier. La brasserie est installée dans les communs qui abritaient autrefois les chevaux.
 

Depuis la création en 2003, les bières créées sont commercialisées principalement sur la Côte d'Opale dans les commerces spécialisés (cavistes, épiceries fines, fromageries), les cafés-hôtels-restaurants, ainsi que dans quelques petites et moyennes surfaces alimentaires.

"En France, le secteur de la bière s’étant fortement industrialisé, nous avions perdu le goût et la diversité des bières artisanales. Depuis quelques années, de nouvelles petites brasseries proposent des bières artisanales, variées et savoureuses. Notre entreprise s’inscrit dans ce mouvement et nous créons de nouvelles recettes de bières originales et de qualité. Valoriser, innover, expliquer, associer, ancrer localement la bière nous semble être davantage le métier du brasseur artisanal que de développer les volumes" explique Christophe Noyon.

J'ai rencontré une fois son propriétaire, en me rendant sur place au printemps dernier. L'homme est du genre taiseux, un peu méfiant envers l'étranger que j'étais, timide sans doute mais aux paroles passionnées une fois la glace brisée. Les pieds sur terre, c'est certain. Plutôt fourmi que cigale. Une chose après l'autre.

D'abord créateur de recettes originales de bière produites à façon avant de développer son propre outil productif, comme en témoigne cette interview publiée en 2007 sur le site internet des Hôtels-Restaurants du Nord-Pas-de-Calais :

"Terrien dans l’âme, né à la ferme de Belle Dalle, je savais depuis toujours que je reviendrai au port. Ingénieur agricole, brasseur amateur, après 13 ans d’expérience chez Dupont de Nemours, j’ai choisi de quitter mon poste pour réaliser un rêve : créer une brasserie artisanale sur la Côte d’Opale et reprendre la ferme familiale.

Au printemps 2003, nous avons lancé notre première bière, la 2 Caps, une bière blonde dans le sillage des bières d’abbaye.

Ensuite, Philippe Olivier, maître-affineur de renommée internationale nous a fait l’honneur de nous proposer de lui concevoir une bière idéale pour l’accompagnement des fromages typés du Nord et de l’Est de la France : c’est ainsi qu’est née la bière à Frometon.

Enfin, au printemps 2004, la Blanche de Wissant, bière blanche rafraîchissante et parfumée est apparue sur les tables.

Début 2004, j’ai également repris l’exploitation familiale avec l’idée à terme d’une continuité du champ au produit fini…

Rassurés par le succès rencontré par nos premières bières, nous avons embauché une première personne en 2004 et restauré une grange pour y accueillir en décembre 2005 la salle de brassage, les fermenteurs et la ligne d’embouteillage.

2006 fût une étape majeure du développement de notre entreprise puisqu ’après la mise en service des équipements, nous avons lancé début juin notre première bière brassée sur place : la Noire de Slack (ndlr : du nom d'un cours d'eau qui se jette dans la mer à proximité du Fort d'Ambleteuse), bière noire aux arômes torréfiés… Bière récompensée par une médaille d’argent au salon de l’agriculture 2007.


Ensuite, toujours progressivement, indépendance et qualité étant les valeurs clés de notre entreprise, nous brasserons l’ensemble de nos recettes sur place.

Dans la brasserie, il y a peu de notion de terroir. En effet, entre l’agriculteur qui cultive l’orge de brasserie, principal ingrédient de la bière et le brasseur : il y a la transformation des grains d’orge en malt d’orge, réalisée par un intermédiaire : le malteur.

Le marché de la bière s’étant fortement concentré au siècle dernier, les industriels de la brasserie, pour des raisons de rendement au brassage et d’uniformité des malts utilisés, ont exigé des malteurs des malts de qualité quasi constante. Pour répondre à cette demande, les industriels de la malterie ont assemblé des lots provenant de différentes régions, afin de pouvoir fournir aux brasseurs un malt répondant à un cahier des charges précis, ne variant pas selon les années. De même, suivant le mouvement de concentration des brasseurs, les malteurs français ne sont plus que quelques uns, équipés avant tout pour répondre aux besoins des grandes brasseries.

Agriculteurs et brasseurs, cultivant de l’orge de brasserie réputée pour être de très bonne qualité, l’une de nos aspirations dès le début de notre projet était de renouer avec la notion de ferme brasserie et d’utiliser nos propres orges. Pour ce faire, il nous fallait identifier un malteur intéressé par le maltage à façon de quelques dizaines de tonnes alors que les silos des malteurs sont en général de plusieurs centaines de tonnes…".

C'est ainsi qu'est née la Belle Dalle, une bière de cru millésimée !
 

Elaborée à partir d'une seule variété d'orge de printemps, provenant exclusivement de la Ferme du Domaine de Belle Dalle, elle est le fruit de la rencontre d'un terroir, d'une culture et d'un savoir-faire : un terroir, celui de limon argilo-sableux allié à un climat maritime et d'exposition "Nord", une culture, celle de l'orge de printemps à 2 rangs, céréale à cycle court, particulièrement adaptée à la douceur de cet environnement, un savoir-faire, issu de la longue tradition des bières de haute fermentation du Nord de la France, associé aux talents des hommes qui la perpétuent.

Cultivée dans le cadre d'un assolement triennal, la culture d'orge de la ferme du Domaine de Belle Dalle permet d'élaborer 3 millésimes : "Le Bois de Belle Dalle", "Le Jardin de Belle Dalle", "Le Chemin de Wissant".

Bière apéritive et digestive, elle s'accorde tout naturellement avec le fromage dont la croûte est lavée avec cette même bière.

Aujourd'hui, Christophe Noyon continue à tracer son sillon, augmentant au fur et à mesure sa capacité de production, pour un jour peut-être brasser l'intégralité de sa production...

Bref, si un jour, vous venez passer des vacances sur la Côte d'Opale, vous saurez où vous ravitailler en bonnes bières du cru !...

Brasserie des 2 Caps
Ferme de Belle Dalle
62179 Tardinghen
Tél. 03 21 10 56 53
www.2caps.fr

 



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Portrait de Brasseur #1 : la Brasserie du Pays Flamand Version imprimable

Pour bien débuter l'année 2015 (recevez mes meilleurs voeux !), voici le premier billet d'une série consacrée au brasserie du Nord de la France, en vous présentant l'une de mes préférées : la Brasserie du Pays Flamand !

En débarquant il y a quelques années chez les Ch'tis, j'ai découvert peu à peu, et avec délectation, la richesse et la variété des bières régionales. Après avoir été à la traîne comparativement aux régions Rhône-Alpes ou Bretagne, on assiste en effet à l'émergence d'une nouvelle génération de brasseurs artisanaux dans le Nord-Pas de Calais et la Picardie, renouant ainsi avec leurs racines, leur terroir et une histoire riche. Mathieu Lesenne et Olivier Duthoit, les deux co-gérants de la Brasserie du Pays Flamand en font indéniablement partie !

Mais avant de vous parler en détail de cette jeune brasserie dynamique, un rappel historique s'impose...

La production brassicole en France début XXème

Il faut se souvenir d'abord que la France, à la veille de la Première Guerre Mondiale, avait deux régions brassicoles :

- Le Nord, avec ses cinq départements : le Nord, le Pas de Calais, la Somme, l'Aisne et les Ardennes qui, à eux seuls, représentaient 70% de la production française de l'époque.

Les bières sont fortes (entre 5 et 10% vol. alcool) et la production est marquée par son extrême variété. Pratiquement chaque petite brasserie a sa bière à elle avec ses caractéristiques propres et les grandes brasseries sortent des qualités très typées. Les bières sont, à de rares exceptions près, à fermentation haute, "d'un goût tout spécial, [...] agréables et très appréciées des consommateurs. Certains brasseurs fabriquent aussi en Hiver des bières spéciales. Ces dernières se distinguent en ce qu'ells sont plus fortes, fabriquées avec un malt spécial et du houblon fin. Quelques brasseurs ajoutent aussi à ces bières un peu de coriandre, plante aromatique qui a pour but, disent-ils, de donner un cachet spécial". (De la saveur de la bière - Le Nord Brasseur, 15 juillet 1923).

- L'Est où, rappelons-le, l'Alsace et la Lorraine étaient sous l'emprise de l'Allemagne, les types de bières fabriqués étaient pratiquement semblables à ceux de l'Allemagne. Après la 1ère Guerre Mondiale, la question s'est posée de reconstruire à l'ancienne ou investir en fermentation basse et produire des bières très différentes des productions antérieures.

Après de nombreuses réflexions, l'idée vint de produire des bières de fermentation mixte, à savoir la première fermentation en cuves en fermentation basse, sans garde et la deuxième fermentation en fûts. Cette manière d'opérer permettant par la fabrication de bières spéciales de mettre sur le marchés des bières qui restaient au goût du consommateur du Nord.

Selon Monsieur Léon BALLAT (ancien directeur de production d'une brasserie, historien et conteur de la bière et plus spécialement des bières spéciales du Nord-Pas de Calais), c'est "rapidement décrit ainsi qu'est née la bière spéciale qui fût admise par tous les brasseurs de nos régions. De très nombreuses étiquettes de bière témoignent de cette période".

Brasserie-malterie coopérative du XXème Siècle (Cambrai - 59)

La tradition brassicole dans les Flandres françaises
 
En arrivant à la Brasserie du Pays Flamand, je suis reçu par Mathieu Lesenne, l'un des deux co-gérants. Nous débutons notre entretien en évoquant le passé brassicole de la Flandre française, sujet qui le passionne (et en sirotant une bonne bière, ce serait fâcheux de se déshydrater...).
 
 
Comme son nom l'indique, cette brasserie est située à Blaringuem à la frontière de la Flandre française et de l'Artois, dans la partie "flamingante" (de langue flamande).
 

Mathieu m'explique qu'avant-guerre, chaque village avait sa propre brasserie (on recensait plus de 1900 brasseries en 1930 dans le Nord, et seulement une vingtaine en 1980) sur le modèle que les américains nomment aujourd'hui "farm house ale". Chaque agriculteur produisait sa propre bière, principalement pour étancher la soif des ouvriers agricoles. A l'époque, on ne brassait que pendant l'hiver (pas de froid industriel) : on récoltait l'orge et le houblon en août, le maltage avait lieu en septembre/octobre et, après le brassage, les bières refermentaient en bouteille, la période de garde se faisait durant la période hivernale.

Après guerre, on assiste à une reconversion et à une concentration de l'appareil productif. C'est l'époque des "brasseurs", marchands de charbon et négoce toutes boissons.
 
Genèse du projet

"Je suis tombé dans la bière grâce ou à cause de ma grand-mère maternelle" se souvient Mathieu, évoquant la production artisanale de son aïeule agricultrice.

Nés à Hazebrouck, Mathieu et Olivier sont amis d'enfance et développent tous deux à l'adolescence une passion pour la bière ("j'étais plutôt 3 Monts, Olivier plutôt Jenlain"). Ces deux beer geeks spécialité "partage/convivialité", devenus adultes, s'essaient au brassage amateur. Après l'obtention d'un diplôme d'ingénieur-agronome (spécialisé dans la fermentation), Olivier devient ingénieur commercial, tandis que Mathieu effectue une première carrière dans la banque et la finance.
 

En 2005, le technicien et le gestionnaire décide d'associer leurs compétences afin de créer leur propre brasserie. C'est une annonce dans le journal qui produit l'étincelle : la Brasserie Zannekin à Cassel (59) est à vendre. Le projet n'aboutit pas mais les deux continuent à rechercher un local et du matériel. En août 2006, ils élaborent à l'Institut Supérieur d'Agriculture de Lille (qui possède un hall technique avec brasserie) deux recettes qui deviendront la Bracine blonde et la Bracine triple, bières "consensuelles" dans la tradition du Nord-Pas de Calais. Ils commencent à brasser chez leurs copains de la Brasserie Saint-Germain à Aix-en-Noulette (62), bien connue des amateurs de Page 24.

Ils participent en 2006 au FIBA (Festival International de la Bière Artisanale à côté de Cassel) et commencent à faire goûter localement leurs bières. En 2008, ils trouvent leur local, un lieu chargé d'histoire puisque c'était auparavant une distillerie qui a fermé ses portes après la Seconde Guerre Mondiale. Pour le matériel, la chance leur sourit à nouveau puisqu'il trouve une brasserie complète à vendre en Lorraine. L'outil de production, lui aussi, a connu une belle histoire puisque la cuverie date du début des années 1990 et était installée dans une micro-brasserie canadienne, avant d'être importée par ce brasseur lorrain.
 

La Brasserie du Pays Flamand est née, l'activité démarre réellement, la gamme Bracine est déclinée : blonde, ambrée, blanche, triple et bières de saison (printemps et hiver). En 2009, ils reçoivent une première récompense avec la médaille d'or au Concours Général Agricole pour la Bracine Triple.

En 2010, une nouvelle étape est franchie avec le lancement de l'Anosteké (du flamand "tot anoste keer" qui signifie "à la prochaine"). En premier lieu produite "pour se faire plaisir" (dixit Mathieu), cette bière houblonnée à souhait rencontre un succès grandissant !

Sans être dans une logique de bière IPA (India Pale Ale), mais juste "correctement houblonnée" (re-dixit Mathieu), plusieurs variétés de houblons (amers et floraux) sont utilisés pour son élaboration. Dans la logique du "penser global, acheter local", les malts et les houblons proviennent du Nord de la France. Elle recevra une médaille d'argent au Concours Général Agricole en 2013.

Depuis, la gamme a été déclinée. D'abord la brune en 2011 avec du malt torréfié (dans le style "imperial stout"), rencontre étonnante entre les arômes de cacao et de café et l'amertume du houblon.
 

 
Puis la "cuvée prestige", une bière blonde cuivrée, brassée en pur malt d'orge, de blé et de seigle, lancée en 2014 pour fêter les 5 ans d'existence. Et dernièrement l'Anosteké IPA, très houblonnée, et la "cuvée d'hiver", foncée et épicée, alcoolisée et riche.
 
 
Leur devise : "le houblon fait la force"

Avec l'IPA, très appréciée aujourd'hui par les amateurs de bière notamment dans les pays anglo-saxons, leur but est d'amener le consommateur moyen vers d'autres types de bières avec des personnalités affirmées (à l'instar des gueuzes, par exemple), tout en gardant de l'équilibre (et un haut coefficient de torchabilité).

Le hasard faisant parfois (très) bien les choses, je découvris ce jour-là qu'ils avaient lancé une production de bières vieillies en fûts, sous le nom "Wilde Leeuw" (houblon sauvage), grâce au travail de Clément, un nouveau collaborateur  qui s'est vu confier ce projet expérimental et passionnant dans le cadre de son mémoire de fin d'études.
 

Je déguste d'abord leur bière blonde vieillie en fût de Bourbon, élevée dans 15 fûts de Maker's Mark et Wild Turkey. Pas de doute sur la marchandise, les notes de Bourbon ressortent clairement, ça reste très équilibré, sans lourdeur. Une version "brune" (mélange de Bracine ambrée et d'Anosteké brune) dans les mêmes contenants est également à la vente.
 

Puis le prototype impropable "Nova Vinum", résultant d'un assemblage de moût de bière et de moût de vin (issu de 4 cépages blancs) fourni par le Domaine Poiron Dabin basé à Château-Thebaud (44). NB : ce domaine a planté du berligou, variété "bretonne" de pinot noir, qui a été réintroduit en 2010 par une association de vignerons nantais.
 
J'ai été particulièrement séduit par cette version présentant à la fois une belle vinosité et un caractère très floral.
 

Last but not least, les deux brasseurs me servent leur bracine triple vieillie en fût de bourgogne blanc (dans 4 fûts de grands crus de la Côte de Beaune de la Maison Latour). Le nez s'ouvre sur les arômes caractéristiques de chardonnay bourguignon : fruits à chair blanche, notes beurrées, chèvrefeuille et tilleul. Certainement la version qui m'a le plus enthousiasmé !

Techniquement, la fermentation en barrique se réalise grâce à la flore levurienne présente sur les parois. Un ouillage régulier est nécessaire du fait d'une part des anges importante. Puis, un re-levurage basique est effectué pour la prise de mousse en bouteille. Au final, la bière titre 10,8% alc./vol.

Olivier m'emmène ensuite visiter le chai à barrique où se réalisent de nombreuses expérimentations...
 
 
 
 



 
Hyperactifs un jour, hyperactifs toujours, Olivier et Mathieu se sont envolés pour la Californie pour produire une bière "houblon'ale" collaborative, avec l'équipe de la Mother Earth Brew Co. de San Diego (4 brassins pour un total de 80 hectolitres, dont 20 hectolitres vendus sur le marché français).
 


Une bière triple "bien de chez nous" houblonnée à l'américaine !



C'est beau et c'est bon, l'amitié franco-américaine !


Brasserie du Pays Flamand
425 rue André Plockyn
59173 Blaringhem
Tél. 03 28 41 74 99
Page Facebook
http://www.brasserie-du-pays-flamand.com

  Encore merci à toute l'équipe
pour l'accueil chaleureux et houblonné !


 


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La Bière, le Rock et le Marketing Version imprimable


 
Le p'tit blanc sans col, le rock, il aime ça.

Pré-ado déjà, il customisait ses jaquettes de cassettes audio de Maiden et autres AC/DC aux effigies d'Eddy ou d'Angus Young. Comme d'autres jeunes boutonneux de son âge, il faisait du air guitar sur son lit, en se prenant pour Hendrix, Eddy Van Halen ou Slash. Avec ses copains, en boum, il pogottait joyeusement sur Rage against the Machine en criant "MOTHERFUCKER!!!", revêtu de sa veste en jean bardée d'écussons de hard rock.

Ce qu'il préférait, le p'tit blanc sans col, c'était écouter du gros son dans son bain. Sa maman, ça la faisait flipper qu'il finisse comme Claude François en voulant changer de face la cassette (putain de poste qui n'avait pas d'auto-reverse... Auto-reverse, le mot que tu ne peux pas comprendre si tu es né après 1990).

Quand il y pense, il se dit qu'ils étaient sacrément patients, ses parents, d'accepter que son groupe de rock répète dans le salon. Et qu'il veuille toujours écouter SA musique, dans la voiture sur la route des vacances... Et FORT, parce que le rock, ça s'écoute FORT ! Aves les potars à 11, si possible.


C'était aussi une époque ingrate avec les filles, mais il s'en foutait : on lui avait enfin offert un ampli Fender 100W et un pédalier avec plein de sons bizarres.

Et les filles, aussi belles soient-elles, avec un ampli Fender 100W, elles peuvent pas rivaliser.

Nostalgie, quand tu nous tiens.

Le p'tit blanc sans col, la bière, il aime ça aussi.

Et, en passant devant la vitrine du Comptoir Irlandais, v'là t'y pas qu'il tombe nez-à-nez avec des binouzes aux effigies des héros de son adolescence. Son sang ne fait qu'un tour. Il a soif. Il a envie de cacahuètes et de chips au vinaigre. Il a envie de s'enfiler ses canettes avec des potes en écoutant du gros son qui tâche.

Et bam, il craque, achat compulsif, qu'importe le prix pourvu qu'on ait l'ivresse !

Et décide d'organiser une séance de glou-test, pour voir ce qu'elles ont dans la bouteille.

Verdict.

Premier constat, vu les degrés alcoolique, on risque pas d'être saouls : de 4,7% à 5% vol., excusez du peu ! Ouhla, ça sent la mauvaise pils de festoche...

On démarre avec la DESTROYER de KISS, de la brasserie suédoise Krönleins Bryggery, en hommage à leur fameux 4ème album sorti en 1976, comprenant notamment Detroit Rock City.


 
Le verdict ne se fait pas attendre : "c'est d'la flotte !" lance un des convives.

Voilà, tout est dit : le seul intérêt de cette binouze insipide, type pils allemande, c'est de pouvoir la cracher par terre lors d'un bon vieux head-banging.

Et dire qu'elle est baptisée "the hottest beer in the world" par les mecs en charge du marketing. Est-ce à dire qu'elle passe mieux un peu tiède, cette bière de 33cl achetée 2,90 € ?...
 
Bref, aussi excitante qu'une Golf Bon Jovi.


Et quand on sait qu'il y a de très nombreuses brasseries artisanales aux Etats-Unis, je me dis que c'est un peu con de faire appel à une brasserie suédoise...

On passe à la Motörhead Bastards Lager.

 
Bon alors, Lemmy le moustachu, il boit aussi d'la flotte ou bien ?... Va-t-on avoir droit à une bonne vieille british ale ?...

Bah non, toujours en mode pils allemande, ça ressemble comme deux gouttes d'eau à la précédente, en un peu moins pire. Bière de soif aux notes légèrement herbacés, mais bon, pas de quoi slammer...

On z'yeute la contre-étiquette, et on se rend compte, Ô surprise, Ô génie marketing, qu'elle est produite par la même brasserie suédoise que la Kiss !...

Même tarif, 2,90 € (et vu à 3,70 € sur le site saveur-biere.com).

AHAHAHA... ah ah ah... hum...

Ouh, ça commence à me chatouiller par derrière.
 
On passe à la binouze AC/DC.

Alors, let there be rock ou bien ???

 

Première surprise, la contenance de cette canette est de 568 ml.
J'ai envie de vous dire : "WTF?".

Alors, produite en Australie ?... Et non, ce n'est que de la (fuckin') Karlsbraü !!! Mais comme il y a un beau packaging AC/DC, on te la vend 5 € la canette...

Et gustativement alors ?

Bah, je viens de vous le dire, c'est de la Karlsbraü. Le truc que tu ne bois pas, à part si tu es perdu dans le désert australien.

AHAHAH... Ah ah ah... hum...

Bon, on finit avec la Trooper de Maiden.



Fear of the dark. J'ai un peu peur.
 
Et bien non, première bonne surprise : c'est une vraie bitter anglaise, bière ambrée aux notes d'orge maltée, de citron et de miel, avec une bonne amertume, parfaite avec des chips au vinaigre.
 

Elle est le fruit de la collaboration de la brasserie anglaise Robinsons et du chanteur du groupe Bruce Dickinson, grand amateur de bière. Ainsi, pas moins de 3 types de houblons sont utilisés pour son élaboration : bobec, goldings et cascade.

Vendue 4,60 € les 50cl. Et 4,90 € pour le second packaging élaboré en série limité. Moi qui croyait que c'était une autre bière... Enfin, c'est ce que le vendeur m'avait dit : "l'une est blonde et l'autre est ambrée". Et non, ce sont les mêmes !!!...

AHAHAH... Ah ah ah... Hum...

Au total, cela m'aura donc coûté 20,30 €.

Oui, je vous l'accorde, ça fait cher le pack d'eau. Oui, ça chatouille un peu.

Bon, c'est bien gentil, tout ça, mais on va boire de la vraie bière !

Heureusement, il restait une Saison Dupont "Dry Hopping" 2014 au frigo...
 
 
Ah oui, c'est pas pareil...
 
Le premier brassage de la Saison Dry Hopping remonte à 2010. Il s’agit d’une bière blonde de fermentation haute, refermentée en bouteille comme la Saison Dupont traditionnelle. La particularité de cette cuvée spéciale, brassée en quantité limitée, est que le houblon utilisé pour le houblonnage à cru (« dry hopping », technique venue d'Angleterre *) soit différent chaque année. Cette année, trois variétés distinctes de houblon ont été sélectionnées. Pour le houblonnage à cru, les brassins ont été réalisés à partir de la variété Challenger cultivée en Belgique.

Notes de dégustation de leur site internet : "Bière d’un blond cuivré, sèche et désaltérante, à l’amertume soutenue. La Dry Hopping accentue les notes fruitées et florales de la bière. Notre sélection de levures lui confère des arômes et un goût bien typés. La vraie refermentation en bouteille, qui peut se prolonger longtemps dans votre cave, aboutit à une bière complexe et très aromatique".

Je ne saurais mieux dire !

Bref, méfiez-vous du marketing et vive les bonnes bières artisanales (belges, mais pas que) !

Je vous parlerai prochainement des meilleurs brasseries du Nord-Pas de Calais.

Santé, et vive le rock !


* le houblonnage à cru ou dry-hopping consiste à ajouter le houblon hors de la phase d'ébullition, à la fin de la phase de fermentation ou pendant la "garde". L'infusion est longue (de 1 à 15 jours) et s'opère à température ambiante. Ce procédé apporte principalement de l'arôme et pas (ou peu) d'amertume à la bière.



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