Rendons à César ce qui appartient à César,
Daniel Thiriez, en créant en 1996 la brasserie qui porte son nom, a fait indéniablement partie des pionniers du renouveau de la brasserie artisanale dans le Nord-Pas-de-Calais.
Hormis les brasseries "historiques"
(devenues aujourd'hui semi-industrielles) comme
Castelain (Ch'ti, créée en 1926),
Duyck (Jenlain, créée en 1922) ou
Saint-Sylvestre (Trois Monts, dont la création daterait d'avant la Révolution), le paysage brassicole artisanale de l'époque dans la région se résumait peu ou prou aux
(par ailleurs excellentes) brasseries
Au Baron (Cuvée des Jonquilles, créée en 1989) et
Beck (Hommelpap, créée en 1992). Le marché était complètement concentré entre les mains des industriels. On était donc à des années-lumières de la dynamique actuelle !
Qu'est-ce qui a donc poussé ce diplômé en Sciences Politiques et Histoire à quitter son poste de DRH chez Auchan (à l'époque, Empire en pleine expansion) pour se lancer dans la fabrication de bières artisanales, à la stupéfaction générale ?
Comme toujours dans ces changements de vie, une conjonction de facteurs. En premier lieu, une volonté farouche d'indépendance et de création. En second lieu, un souhait d'harmoniser vie professionnelle et vie familiale, en choisissant son cadre de vie.
Mais pourquoi la bière plutôt qu'une autre activité économique, me direz-vous ?
Et bien, il se trouve que Daniel Thiriez fût l'un des premiers brasseurs amateurs dans les années 70, alors étudiant à Paris et intéressé par la chimie. Durant les années 80, il assista à l'éclosion des brasseries artisanales dans le reste du Monde, notamment en Amérique du Nord (USA, Canada), en Belgique et Royaume-Uni. Ce qui renforça chez lui une intime conviction : "je pensais que le marché des bières artisanales avait un avenir considérable, la domination industrielle n'étant pour moi qu'une anomalie complète" avant de poursuivre avec ce proverbe qui allait devenir son mantra : "l'herbe pousse entre les pattes de l'éléphant". Et de résumer ainsi : "j'étais persuadé que l'uniformisation des goûts proposés par les industriels laissait de facto un champs considérable aux véritables artisans".
Il semblerait bien que son parcours et que le renouveau actuel partout dans le Monde des brasseries artisanales lui ait donné raison !
Avec une telle philosophe, pas étonnant que je tombe nez-à-nez sur l'affiche "Epaulé, Jeté" des célèbres vignerons bourgueillois Catherine et Pierre Breton, en rentrant dans la salle de dégustation.
Plus je rencontre de brasseurs artisanaux, et plus les liens de parenté avec leurs cousins artisan-vignerons me sautent aux yeux, dans les valeurs communes défendues et leur philosophie de travail.
Daniel Thiriez, "l'artisan de l'amer", comme l'a joliment titré un jour un journaliste
A une époque pas si lointaine où Internet et les réseaux sociaux n'existaient pas, sans aucun réseau ni contact dans la profession, il lui fallut 2 ans pour monter son projet. Il suivit alors des formations et stages à l'
IFBM de Nancy et au département bière de l'
Institut Meurice à Bruxelles.
Il s'installa à Esquelbecq dans les Flandres (59), en acquérant une brasserie neuve italienne d'une capacité de production de 6 hectolitres, avec laquelle il travailla pendant 10 ans. Avant d'investir il y a 7 ans dans un nouvel outil de production semi-automatique de 20 hectolitres, qui lui permet de produire environ 1800 hectolitres par an.
"Je suis partisan d'une croissance durable, à savoir pas à tout prix et doucement. Les hectos ne m'intéressent pas. L'entreprise est restée très familiale (5 personnes) et ce qui m'intéressent, c'est de produire des bières qui me conviennent".
Vous l'aurez compris, point d'étude de marché avant de lancer une nouvelle bière !
Dans ses influences principales, il cite volontiers certaines bières régionales comme
Jenlain ou la
Cuvée des Jonquilles, mais surtout les
bières de type "saison" de la Brasserie Dupont (Belgique). A savoir donc, des bières plutôt
sèches, amères et légères.
Les houblons utilisés sont principalement européens : France
(Nord-Pas-de-Calais et Alsace), République Tchèque, Royaume-Uni, avec comme exception ceux d'origine américaine pour la
Dalva.
"J'essaie de produire des bières avec beaucoup de saveurs et de parfums, de longueur en bouche et avec le moins d'alcool possible".
Il se dit également très influencé par ses confrères américains
(il est très attaché aux USA, qu'il connait bien, son épouse étant nord-américaine) :
"ils sont extrêmement inventifs, ils osent tout (même si je ne suis adepte de barley wine à 12° ou d'imperial stout à 14°).
Avec 10 ans de retard, tout le monde sort ici des IPA (India Pale Ale, bière très houblonnée)
avec des houblons américains. Le style "saison" est aussi très en vogue aux USA"
Ce qui explique ses collaborations régulières avec des brasseurs américains, d'influence européenne
(saison, gueuze), comme
Jester King (Texas),
Oxbow (Maine) ou
Saint-Somewhere (Floride)
Pas étonnant donc qu'il produise la
Dalva, une
double IPA dans le plus pur style anglo-saxon, qui tire son nom du
roman de l'écrivain américain Jim Harrison, dans lequel il écrivait :
"une seule bouteille de bière suffit à engendrer un flot de grands pensées...".
Dès la création de la brasserie, il a sélectionné auprès de l'Institut Meurice une
souche de levure spécifique (de type "saison"), dont il a l'exclusivité, et qui apporte une véritable signature à l'ensemble de sa gamme. Toutes ses bières sont
non filtrées, sans aucun additif et élevées sur lies.
Et parfois même en fûts comme cette Dalva millésimée...
Mais bien avant la Dalva - et pour ne parler que des principales bières - il y eut d'abord la Blonde d'Esquelbecq (bière de garde houblonnée, en 1996) et l'Ambrée d'Esquelbecq (à la base une bière de noël très légèrement épicée, en 1997).
Puis la Rouge Flamande en 1999, sa première bière de commande, une bière événementielle (*) devenue depuis un succès. En termes d'étiquette, celle-ci marqua un tournant, puisque dès lors il n'y eut plus d'unité visuelle, chaque bière ayant sa propre personnalité.
Puis naquit La Petite Princesse, véritable plaidoyer pour réhabiliter les "bières de table" (2-3°), à une époque où la majorité des bières de ce type avaient mauvaise presse (ce qui n'étaient pas injustifié, d'ailleurs). Une bière à contre-courant, pas à la mode, "très délicate à brasser". La bière préférée de son épouse. "Militant anti-sucre", Daniel Thiriez est certain que les gens vont retrouver le goût des bières légères, mais qui ont du goût. Pour vous convaincre, buvez-en une en plein été sous le parasol. Vous verrez, l'essayer c'est l'adopter.
En 2000, une nouvelle étape est franchie avec L'étoile du Nord, fruit d'un partenariat avec John Davidson de la Brasserie Swale (UK). Une bière blonde, légère et bien houblonnée, élaborée avec un houblon du Kent nommé Bramling Cross.
"A l'époque, nous l'avions produite par plaisir. il n'y avait pas de marché localement pour ce type de bière. Les ventes ont réellement commencé à décoller en 2002, via mon importateur américain (le même que la Brasserie de la Senne) qui, après l'avoir goûté, m'a commandé 2 palettes. Cela m'a donné confiance !".
Depuis, Daniel Thiriez poursuit son chemin, expérimente et continue à élaborer ses recettes
(La Biobière, La Maline, Les Quebecoises, La Vieille Brune...).
Dernière collaboration en date, cette
Train to Mars, produite avec et pour la
Cave à Bulles à Paris, une
"bière de type saison à l'américaine, houblonnée à cru, avec des houblons Aramis (Alsace), Mosaïc et Simcoe (USA).
"A "Saison de Mars" hopped with Mosaic, Aramis, Simcoe
and fermented with the world famous Thiriez house yeast".
Des travaux d'extension ont débuté le 28 avril dernier. Fidèle à sa théorie de la "croissance durable", la brasserie s'agrandit doucement mais sûrement...
Brasserie Thiriez
22 rue de Wormhout
59470 ESQUELBECQ
Ouverte du lundi au samedi : 9h-12h30 / 14h-19h
(*) La Rouge Flamande est le nom d'une race locale de vache laitière, c'était une commande des éleveurs pour l'inauguration d'une statue de l'animal à Bergues.
Articles portant sur des thèmes similaires :
Mots-clés : Brasseurs du Nord,
Brasserie Thiriez,
Daniel Thiriez,
Rouge Flamande,
Dalva,
Train to Mars,
Etoile du Nord,
Dalva,
La Petite Princesse