Pour bien débuter l'année 2015
(recevez mes meilleurs voeux !), voici le premier billet d'une série consacrée au brasserie du Nord de la France, en vous présentant l'une de mes préférées : la
Brasserie du Pays Flamand !
En débarquant il y a quelques années chez les Ch'tis, j'ai découvert peu à peu, et avec délectation, la richesse et la variété des bières régionales. Après avoir été à la traîne comparativement aux régions Rhône-Alpes ou Bretagne, on assiste en effet à l'émergence d'une nouvelle génération de brasseurs artisanaux dans le Nord-Pas de Calais et la Picardie, renouant ainsi avec leurs racines, leur terroir et une histoire riche.
Mathieu Lesenne et
Olivier Duthoit, les deux co-gérants de la
Brasserie du Pays Flamand en font indéniablement partie !
Mais avant de vous parler en détail de cette jeune brasserie dynamique, un rappel historique s'impose...
La production brassicole en France début XXème
Il faut se souvenir d'abord que la France, à la veille de la Première Guerre Mondiale, avait deux régions brassicoles :
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Le Nord, avec ses cinq départements : le Nord, le Pas de Calais, la Somme, l'Aisne et les Ardennes qui, à eux seuls, représentaient
70% de la production française de l'époque.
Les bières sont fortes (entre 5 et 10% vol. alcool) et la production est marquée par son extrême variété. Pratiquement chaque petite brasserie a sa bière à elle avec ses caractéristiques propres et les grandes brasseries sortent des qualités très typées. Les bières sont, à de rares exceptions près, à fermentation haute,
"d'un goût tout spécial, [...] agréables et très appréciées des consommateurs. Certains brasseurs fabriquent aussi en Hiver des bières spéciales. Ces dernières se distinguent en ce qu'ells sont plus fortes, fabriquées avec un malt spécial et du houblon fin. Quelques brasseurs ajoutent aussi à ces bières un peu de coriandre, plante aromatique qui a pour but, disent-ils, de donner un cachet spécial". (De la saveur de la bière - Le Nord Brasseur, 15 juillet 1923).
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L'Est où, rappelons-le, l'Alsace et la Lorraine étaient sous l'emprise de l'Allemagne, les types de bières fabriqués étaient pratiquement semblables à ceux de l'Allemagne. Après la 1ère Guerre Mondiale, la question s'est posée de reconstruire à l'ancienne ou investir en fermentation basse et produire des bières très différentes des productions antérieures.
Après de nombreuses réflexions, l'idée vint de produire des bières de fermentation mixte, à savoir la première fermentation en cuves en fermentation basse, sans garde et la deuxième fermentation en fûts. Cette manière d'opérer permettant par la fabrication de bières spéciales de mettre sur le marchés des bières qui restaient au goût du consommateur du Nord.
Selon Monsieur Léon BALLAT
(ancien directeur de production d'une brasserie, historien et conteur de la bière et plus spécialement des bières spéciales du Nord-Pas de Calais), c'est
"rapidement décrit ainsi qu'est née la bière spéciale qui fût admise par tous les brasseurs de nos régions. De très nombreuses étiquettes de bière témoignent de cette période".
Brasserie-malterie coopérative du XXème Siècle (Cambrai - 59)
La tradition brassicole dans les Flandres françaises
En arrivant à la Brasserie du Pays Flamand, je suis reçu par Mathieu Lesenne, l'un des deux co-gérants. Nous débutons notre entretien en évoquant le passé brassicole de la
Flandre française, sujet qui le passionne
(et en sirotant une bonne bière, ce serait fâcheux de se déshydrater...).
Comme son nom l'indique, cette brasserie est située à Blaringuem à la frontière de la Flandre française et de l'Artois, dans la partie "flamingante" (de langue flamande).
Mathieu m'explique qu'avant-guerre, chaque village avait sa propre brasserie (on recensait plus de 1900 brasseries en 1930 dans le Nord, et seulement une vingtaine en 1980) sur le modèle que les américains nomment aujourd'hui "farm house ale". Chaque agriculteur produisait sa propre bière, principalement pour étancher la soif des ouvriers agricoles. A l'époque, on ne brassait que pendant l'hiver (pas de froid industriel) : on récoltait l'orge et le houblon en août, le maltage avait lieu en septembre/octobre et, après le brassage, les bières refermentaient en bouteille, la période de garde se faisait durant la période hivernale.
Après guerre, on assiste à une reconversion et à une concentration de l'appareil productif. C'est l'époque des "brasseurs", marchands de charbon et négoce toutes boissons.
Genèse du projet
"Je suis tombé dans la bière grâce ou à cause de ma grand-mère maternelle" se souvient Mathieu, évoquant la production artisanale de son aïeule agricultrice.
Nés à Hazebrouck, Mathieu et Olivier sont amis d'enfance et développent tous deux à l'adolescence une passion pour la bière ("j'étais plutôt 3 Monts, Olivier plutôt Jenlain"). Ces deux beer geeks spécialité "partage/convivialité", devenus adultes, s'essaient au brassage amateur. Après l'obtention d'un diplôme d'ingénieur-agronome (spécialisé dans la fermentation), Olivier devient ingénieur commercial, tandis que Mathieu effectue une première carrière dans la banque et la finance.
En 2005, le technicien et le gestionnaire décide d'associer leurs compétences afin de créer leur propre brasserie. C'est une annonce dans le journal qui produit l'étincelle : la Brasserie Zannekin à Cassel (59) est à vendre. Le projet n'aboutit pas mais les deux continuent à rechercher un local et du matériel. En août 2006, ils élaborent à l'Institut Supérieur d'Agriculture de Lille
(qui possède un hall technique avec brasserie) deux recettes qui deviendront la
Bracine blonde et la
Bracine triple, bières
"consensuelles" dans la tradition du Nord-Pas de Calais. Ils commencent à brasser chez leurs copains de la
Brasserie Saint-Germain à Aix-en-Noulette (62), bien connue des amateurs de
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Ils participent en 2006 au
FIBA (Festival International de la Bière Artisanale à côté de Cassel) et commencent à faire goûter localement leurs bières. En 2008, ils trouvent leur local, un lieu chargé d'histoire puisque c'était auparavant une distillerie qui a fermé ses portes après la Seconde Guerre Mondiale. Pour le matériel, la chance leur sourit à nouveau puisqu'il trouve une brasserie complète à vendre en Lorraine. L'outil de production, lui aussi, a connu une belle histoire puisque la cuverie date du début des années 1990 et était installée dans une micro-brasserie canadienne, avant d'être importée par ce brasseur lorrain.
La Brasserie du Pays Flamand est née, l'activité démarre réellement, la gamme
Bracine est déclinée : blonde, ambrée, blanche, triple et bières de saison (printemps et hiver). En 2009, ils reçoivent une première récompense avec la
médaille d'or au Concours Général Agricole pour la Bracine Triple.
En 2010, une nouvelle étape est franchie avec le lancement de l'
Anosteké (du flamand "tot anoste keer" qui signifie "à la prochaine"). En premier lieu produite
"pour se faire plaisir" (dixit Mathieu), cette bière houblonnée à souhait rencontre un succès grandissant !
Sans être dans une logique de bière IPA
(India Pale Ale), mais juste "correctement houblonnée"
(re-dixit Mathieu), plusieurs variétés de houblons (amers et floraux) sont utilisés pour son élaboration. Dans la logique du
"penser global, acheter local", les malts et les houblons proviennent du Nord de la France. Elle recevra une
médaille d'argent au Concours Général Agricole en 2013.
Depuis, la gamme a été déclinée. D'abord la brune en 2011 avec du malt torréfié (dans le style
"imperial stout"), rencontre étonnante entre les arômes de cacao et de café et l'amertume du houblon.
Puis la "cuvée prestige", une bière blonde cuivrée, brassée en pur malt d'orge, de blé et de seigle, lancée en 2014 pour fêter les 5 ans d'existence. Et dernièrement l'Anosteké IPA, très houblonnée, et la "cuvée d'hiver", foncée et épicée, alcoolisée et riche.
Leur devise : "le houblon fait la force"
Avec l'IPA, très appréciée aujourd'hui par les amateurs de bière notamment dans les pays anglo-saxons, leur but est d'amener le consommateur moyen vers d'autres types de bières avec des personnalités affirmées (à l'instar des gueuzes, par exemple), tout en gardant de l'équilibre (et un haut coefficient de torchabilité).
Le hasard faisant parfois (très) bien les choses, je découvris ce jour-là qu'ils avaient lancé une production de bières vieillies en fûts, sous le nom "Wilde Leeuw" (houblon sauvage), grâce au travail de Clément, un nouveau collaborateur qui s'est vu confier ce projet expérimental et passionnant dans le cadre de son mémoire de fin d'études.
Je déguste d'abord leur bière blonde vieillie en fût de Bourbon, élevée dans 15 fûts de Maker's Mark et Wild Turkey. Pas de doute sur la marchandise, les notes de Bourbon ressortent clairement, ça reste très équilibré, sans lourdeur. Une version "brune" (mélange de Bracine ambrée et d'Anosteké brune) dans les mêmes contenants est également à la vente.
Puis le prototype impropable
"Nova Vinum", résultant d'un assemblage de
moût de bière et de moût de vin (issu de 4 cépages blancs) fourni par le
Domaine Poiron Dabin basé à Château-Thebaud (44).
NB : ce domaine a planté du berligou, variété "bretonne" de pinot noir, qui a été réintroduit en 2010 par une association de vignerons nantais.
J'ai été particulièrement séduit par cette version présentant à la fois une belle vinosité et un caractère très floral.
Last but not least, les deux brasseurs me servent leur bracine triple vieillie en fût de bourgogne blanc (dans 4 fûts de grands crus de la Côte de Beaune de la Maison Latour). Le nez s'ouvre sur les arômes caractéristiques de chardonnay bourguignon : fruits à chair blanche, notes beurrées, chèvrefeuille et tilleul. Certainement la version qui m'a le plus enthousiasmé !
Techniquement, la fermentation en barrique se réalise grâce à la flore levurienne présente sur les parois. Un ouillage régulier est nécessaire du fait d'une part des anges importante. Puis, un re-levurage basique est effectué pour la prise de mousse en bouteille. Au final, la bière titre 10,8% alc./vol.
Olivier m'emmène ensuite visiter le chai à barrique où se réalisent de nombreuses expérimentations...
Hyperactifs un jour, hyperactifs toujours, Olivier et Mathieu se sont envolés pour la Californie pour produire une bière "houblon'ale" collaborative, avec l'équipe de la Mother Earth Brew Co. de San Diego (4 brassins pour un total de 80 hectolitres, dont 20 hectolitres vendus sur le marché français).
Une bière triple "bien de chez nous" houblonnée à l'américaine !
C'est beau et c'est bon, l'amitié franco-américaine !
Brasserie du Pays Flamand
425 rue André Plockyn
59173 Blaringhem
Tél. 03 28 41 74 99
Page Facebook
http://www.brasserie-du-pays-flamand.com
Encore merci à toute l'équipe
pour l'accueil chaleureux et houblonné !
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