Tandis que l'excellent Turalo et ses collègues Y. Lejeune/J-Ph. Peyraud publient chez Delcourt une bande-dessinée au nom évocateur "Idées reçues et corrigées", je manque de m'étouffer à plusieurs reprises, en ce jour de Beaujolais Nouveau, devant le nombre de conneries que je lis sur le net !...
 

 
Depuis ce matin, c'est le carnaval des stéréotypes et autres poncifs de mes deux sur le vin...

Je vous épargne une revue de presse, mais voici quand même les deux pépites du jour :

"Par ailleurs, qui peut dire ici, honnêtement, sans mentir, qu'il a déjà bu un Beaujolais nouveau, un 15 novembre, sans avoir immédiatement envie de recracher par terre ou même davantage ? Qui peut soutenir mon regard et me jurer qu'il n'a pas terminé la soirée (dans le meilleur des cas) avec une migraine épouvantable ? Vous savez cette barre au front et ces coups derrière la nuque qui vous donnent envie d'abréger vos souffrances au plus vite ?" Guy Birenbaum/Huffingtonpost

"La plupart des vins bio n’affichent en revanche pas un très fort potentiel de garde. Seules quelques appellations comme les Graves ou les Côtes-de-Bourg peuvent prétendre à vieillir quelques années". Romy Doucoulombier/Le Figaro L'avis du Vin

Pour aujourd'hui, concentrons-nous sur le Beaujolais Nouveau. Je me ferai un plaisir d'apporter quelques corrections au soi-disant non-potentiel de garde de vins bios dans un prochain billet... Au vu du nombre d'inepties sur le vin que j'entends ou que je lis régulièrement, j'ai décidé, je lance une rubrique !

Idée reçue et corrigée n°1 : le beaujolais nouveau, ça a le goût de banane et ça donne mal au crâne.

Souvent oui, mais pas que

Mais revenons-en au début, c'est quoi un vin "nouveau" ou "primeur" ? Petite note lexicale, les deux termes recouvrent la même chose. A ne pas confondre cependant avec la "vente en primeur" des fameux crus bordelais, qui consiste, pour le client, à pré-acheter du vin qui est en cours d'élevage... ou comment vendre du vin (et remplir les caisses) avant de l'avoir fait... mais je m'égare...

En fait non, pas vraiment. Parce que là aussi, tout est question de trésorerie.

Je m'explique.

Un arrêté en date du 8 septembre 1951 dispose que les vins d'AOC ne peuvent être vendus avant le 15 décembre. Cependant, suite au lobbying de syndicats viticoles (car de nombreuses exploitations souffraient de graves problèmes de trésorerie), une note du 13 novembre 1951 précise "dans quelles conditions certains vins peuvent être commercialisés dès maintenant sans attendre le déblocage du 15 décembre". Ainsi est né le Beaujolais Nouveau. Mais pas que. Vous trouverez en effet des vins primeurs dans de nombreuses régions viticoles : en Touraine, dans le Muscadet ou encore dans le Gaillacois, pour ne citer qu'eux. Pendant longtemps, la date fût variable. Ce n'est qu'en 1967 qu'on la fixa au 15 novembre. Puis en 1985, pour des raisons marketing et de proximité avec le 11 novembre, au 3ème jeudi du mois.

Mais dis, Tonton, pourquoi ça peut avoir un goût de banane/fraise tagada/bonbon anglais ?
Vous noterez le "peut avoir". Distinct de "a forcément".
Alors pourquoi ces arômes que l'on qualifie d'amyliques (j'aime bien me la péter, j'avoue) ?
 
Premièrement, du fait de la macération dite "carbonique". Le principe est simple, vous ramassez des grappes entières que vous mettez en cuve, vous saturez le tout en CO2, et se produit une fermentation intracellulaire dite anaérobie (à l'abri de l'air, pour être clair). Ce qui, pour simplifier, permet d'extraire un maximum de fruit et de produire des vins gouleyants. Chimiquement, ce type de vinification entraîne "naturellement" l'apparition d'acétate d'isoamyle, un ester qui présente ces notes amyliques. 

Après, vient la question du levurage...

Etant donné que la plupart des vignes du beaujolais ont été à une époque pas si lointaine -  comme d'autres - matraquées de produits chimiques, cela a conduit à la mort des levures naturellement présentes sur la peau des raisins... obligeant les viticulteurs à rajouter durant la vinification des levures artificielles afin que les fermentations se déroulent normalement. Le levurage étant devenu dans les années 80 une pratique quasi-généralisée dans la région.

Parenthèse pour toi, lecteur/lectrice qui n'a jamais mis le nez dans un livre d'oenologie : la fermentation alcoolique résulte de la dégradation des sucres présents dans le moût de raisin par des levures.

V'là t'y pas que le chantres du marketing (et son goût prononcé de la standardisation), l'INRA et les grosses boîtes d'agrochimie introduisent et développent la commercialisation de la fameuse levure B71 au goût prononcé de banane !

Cerise ? Fraise Tagada ? Fraise des bois ? Il n'y a plus qu'à demander, on vous fournit le bon sachet !

Et oui, le vin, ça se fait aussi comme ça.

Bref, vous l'aurez compris : fermentation carbonique + levure industrielles arômatisées, ça fait mal...

Celui au crâne, c'est encore autre chose, c'est dû le plus souvent à un dosage en sulfites un peu trop généreux...

Alors :
OUI, on peut être saoulé par le côté marketing de l'événement
OUI, on peut considérer à juste titre que la grande majorité des vins produits est totalement standardisé et d'une qualité médiocre
OUI, un certain nombre de vignerons se sont eux-mêmes tirés une balle dans le pied à profiter de l'aubaine économique, sans chercher à produire des vins de qualité, et se retrouvent piéger à leur propre jeu

Le constat est sans appel :
- l'événement est passé de mode : il ne dure réellement plus que 3-4 jours. En tant que caviste, vous avez intérêt à avoir tout vendu avant le milieu de la semaine prochaine.
- les consommateurs ont de manière générale une très mauvaise image du vignoble du Beaujolais, qu'ils associent uniquement avec le vin nouveau, qu'ils jugent majoritairement mauvais. La plupart ne savent pas que des Morgon ou Moulin à Vent sont des crus du Beaujolais.

Pour compléter ce tableau noir, le millésime 2012 caractérisé par son lot de gel, grêle et maladies débouche sur une récolte historiquement basse. Près de 400 exploitations se retrouvent dans d'énormes difficultés financières...

Heureusement, et c'est évidemment là que je veux en venir, UN VIN NOUVEAU, QUAND C'EST BIEN FAIT, C'EST SUPER BON (ET SANS PRETENTION) !!!

ET QU'IL Y A PLEIN DE SUPERS VIGNERONS A DECOUVRIR DANS LE BEAUJOLAIS !!!

ALORS, ARRETONS AVEC CES IDEES RECUES !!!

Je ne peux qu'inviter le journaliste du Huffington Post à goûter les jus des quelques domaines suivants pour changer d'avis : Marcel Lapierre, Jean-Paul Brun, Domaine des Côtes de la Molière, PUR/Cyril Alonso, Domaine de la Fully, Domaine des Bachelards... et plein d'autres !

Et pas que dans le Beaujolais... Goûtez donc le muscadet primeur de Jo Landron !

Et par ces temps de crise, soutenez les auteurs en tous genres : achetez des BD et du Beaujolais !  Chez vos libraires et cavistes, of course, qui se feront un plaisir de vous faire prendre quelques chemins de traverse !

Quoi de mieux qu'une bonne BD accompagnée d'un verre de pif ?!...