Le grincement de la porte d'entrée fût aussitôt suivi du tintement d'un cloche, annonçant au propriétaire l'intrusion d'un étranger... Au centre de la première pièce, faiblement éclairée, se trouvait un monticule de caisses et de cartons dépareillés. Leurs flammes indiquaient fièrement leur provenance montraient leurs étendards : des coteaux ligériens aux terrasses granitiques du Rhône, des Monts Dorés à la Vallée de la Marne... tous les grands royaumes étaient représentés.

Contre les murs, sur des étagères au bois massif, étaient entreposées des centaines  de flacons merveilleux, recouverts d'une épaisse poussière ; certains semblaient reposer dans ce lieu depuis des millénaires... Le chevalier Montrachet se reposait à l'ombre d'un recoin. Le Pape, arborant un bonnet rouge bordé d'hermine, faisait quant à lui les cent pas dans son château flambant neuf.

Soudain, des pas se firent entendre, qui remontaient lentement un escalier en pierre souterrain. Une trappe s'ouvrit et un homme mystérieux me fît face. D'épais sourcils encadraient des yeux sombres, indéchiffrable. Bien que maigre, sa stature ne manquait pas d'aplomb. 
Après m'avoir jaugé, et brièvement salué, il me laissa déambuler dans son antre, repartant à son ouvrage devant un vieux bureau, sur lequel s'entassaient parchemins et autres lettres de créances.

Je flânais, intrigué par l'étrangeté des lieux... Je ne manquais pas de tirer ma révérences aux seigneurs burgondes, de saluer Rabelais et les autres poètes de ma Touraine natale. Barons de Montagnes de l'Est aux noms prussiens, Rois de la Vallée de la Loire, tous étaient là, endormis.

C'est à ce moment-là qu'une voix me parvint... un râle plutôt... Un sifflement - tel le son produit par 2 cailloux que l'on frotte l'un contre l'autre - émanait d'un cercueil en verre. Un parchemin, rongé par le temps, indiquait l'identité du propriétaire. BECHERELLE était-il marqué, inhumé en 1997 au Château de la Roche aux Moines.

Tandis que je m'approchais, une voix faible mais claire me dit : "je ne suis pas mort, n'aie crainte"... "on m'a volé mon nom"... "délivre-moi"... "emporte-moi avec toi"... "rétablis la vérité"...

"Mais quelle vérité", lui dis-je, "de quoi parlez-vous ?".

"Délivre-moi, emporte-moi avec toi" me dit à nouveau la voix. "Fais-moi sortir de cette prison et je te dirai tout !".

Piqué par la curiosité, je rapportais ce cercueil en verre chez moi, après m'être acquitté de taxes diverses auprès du maître des lieux.

Délicatement, je fis sauter les verrous. Un princesse à la robe d'or éclatante en sortit... et se mit à tourbiller, telle la fée clochette, dans mon verre. Une intensité aromatique d'une grande complexité me fit tourner la tête, et je me retrouvais emporté loin, dans un conte des frères Grimm... Des notes de mirabelles bien mûres, de pain d'épice au miel, d'abricot confit, de raisins secs, de cannelle, d'amande et de noix... Une bouche sublime, voluptueuse, d'une longueur infinie avec une finale saline persistante.

"- Dis-moi, quel est ton secret ?
- On m'a volé mon nom, je suis l'une des dernières de ma lignée" me répondit-elle.
Puis, elle repartit dans son mutisme.

Après plusieurs jours de recherche, je décidai de contacter directement la Damoiselle Joly, fille du seigneur du Château de la Roche aux Moines, qui me raconta toute l'histoire..
 
 
Alors, alors, quelle est l'histoire de ce vin magique ?

Il n'existe plus...

Vous pourrez chercher sur la toile, aucune trace de millésimes récents.
 
Ce "drinking dead" a en effet vu son nom changer en 2001, comme l'explique Virginie Foly : "nous avons 5 parcelles de Savennières, dont une d'un tiers d'hectare qui s'appelle Becherelle. Nous avons toujours vinifié tout notre Savennières en une seule cuvée, qu'à l'époque nous appelions Becherelle. Mais comme la totalité de la production de Savennieres était évidement plus grande que ce que cette parcelle pouvait fournir, nous avons dû lui trouver un nom plus global... Dommage car j'aimais bien ce nom.. Désormais, la cuvée s'appelle "les Vieux Clos",  mais dans la bouteille ça reste le même assemblage qu'à l'époque !".

En voilà une bonne nouvelle !!! 

A tous les amateurs de grands chenins racés, je ne peux que vous inviter à découvrir les merveilleux vins de ce domaine : cette cuvée de Savennières, mais également le "Clos de la Bergerie" (AOC Savennières-Roche-aux-Moines, bu récemment un millésime 2006 à se damner !!!) et bien sûr, la célèbre "Coulée-de-Serrant" (monopole de la famille Joly). 

Des vins d'une robe d'or éclatante, d'une complexité aromatique démente, à laisser patiemment vieillir...

NB : ne pas hésiter à les carafer longtemps en avance, ils n'en seront que meilleurs (surtout la Coulée de Serrant, à carafer le matin pour le soir) ! Vins de gastronomie par excellence, à marier avec les plus beaux mets, en particulier des poissons de rivière... ;-) Rhâ, mon royaume pour un vieux savennières et un sandre au beurre blanc !!!...