(*) comme je ne suis pas dans le TOP 50 des personnes francophones les plus influentes du vin 2.0, j'ai choisi un titre à la Sandrine Goeyvaerts, on ne sait jamais, ça peut toujours rapporter quelques points... ;-)

Bien, revenons-en à nos dégustations à l'aveugle, car c'est bien de cela dont il s'agit en ce vendredi du vin n°54, présidé par la pétillante, la naturelle, la poétesse Anne Graindorge.

La vie étant parfois bien faite, le hasard fît que mes vacances en terres tourangelles et ce thème coïncidèrent, tant et si bien que votre serviteur se rendît chez La Graindorge pour un jeu de devinettes oenologiques !
 

 
Anne, c'est une rabelaisienne pur jus de cabernet franc. La preuve, elle habite dans la vallée des célèbres guerres pycrocholines imaginées par l'auteur de Gargantua. Au bout du chemin, dans un décor bucolique entre arbres en fleur et cave dans le tuffeau, tout droit sorti d'un conte. Quand on lit un peu sa prose, on ne l'imagine pas ailleurs. Certaines choses vont de soi.

Avec cette copine facebookienne ligérienne, c'était la première rencontre en "vrai". Le côté sympa quand on a noué des liens "virtuels", c'est que la rencontre se fait du coup de façon extrêmement simple et conviviale. Et côté convivialité, nous avions prévu de quoi faire puisque chacun d'entre nous avait dans la besace 3 vins à faire goûter à l'aveugle à l'autre, 1 bulle, 1 blanc, 1 rouge !

Ce qui était très intéressant dans ce jeu de dégustation à l'aveugle, c'est que, n'ayant pas le même parcours, nous avons l'un et l'autre une manière personnelle et différente d'appréhender un vin à l'aveugle. Nous n'employons pas forcément le même vocabulaire, j'ai un côté plutôt analytique alors qu'Anne est davantage sur un ressenti personnel et intime. Plutôt cérébral d'un côté, davantage dans le sensitif de l'autre, mais tous deux dans un mode très émotif et porté sur l'imaginaire.

Souvent, des clients ou des amis me demandent comment j'arrive à reconnaître des vins à l'aveugle. C'est simple : 1) on ne reconnaît que ce que l'on connaît. 2) quand on ne reconnaît pas, on fait appel à sa culture et on fait par élimination.

Si je vous sers 3 jus de fruits différents, chacun sera capable de distinguer le jus de pomme, du jus d'ananas et du jus de pomme. Si je vous sers 3 eaux minérales, la plupart sera également capable de faire le distinguo entre badoit, évian et contrex.

Et si vous êtes passioné de musique, au bout de quelques notes, vous serez capable d'identifier l'interprête ou le compositeur.

Etant moi-même très mélomane, j'ai la même approche quand je découvre un vin ou que j'entends un morceau de jazz, par exemple. Chaque cépage à des arômes "primaires" qui lui sont propres (la violette et les épices pour la syrah, la cerise et autres petits fruits rouges pour le pinot noir, les agrumes et le bourgeon de cassis pour le sauvignon...), tout comme chaque jazzman a un style, une texture sonore, un phrasé, un son qui lui est propre.

Tel un type d'arrangement à un morceau, le type de sol, la climatologie d'un millésime, le type de vinification choisi apportent des nuances particulières. 

Si vous me faîtes écouter des solos de Miles Davis, Chet Baket et Dizzy Gillespie, sauf déficience mentale éclair, je les reconnais sans peine. Tout comme je ferai la différence entre un solo d'Hendrix, Van Halen et Page. Tout simplement parce que j'ai écouté tous ses mecs-là en boucle...

Dans le cas présent, on ne devient "bon" en dégustation à l'aveugle qu'après avoir dégusté (et dégusté encore) des centaines voire des milliers de vins (des millions de vins dans le cas de Patrick Böttcher, qui joue hors catégorie).

Oui, la dégustation à l'aveugle est un sport d'alcoolique compulsif qui s'ignore (ou pas) et qui crache beaucoup (c'est le côté anorexique).

Il se trouve que je suis quelqu'un de curieux, j'aime comprendre comment fonctionne les choses. Cela doit être mon côté psycho-rigide scientifique refoulé. Alors adolescent, et pratiquant plusieurs instruments, je voulais comprendre pourquoi tel musicien jouait de telle ou telle façon. Ce que vous commencez à capter quand vous découvrez ses influences. Je ne crois pas au génie ex nihilo, pour moi, chaque grand artiste a forcément était influencé par ses pairs. Après, il est dans un prolongement, un dépassement ou carrément une rupture.
 
Vous pourriez faire la même analyse avec n'importe quelle forme d'art.

Quand je me suis mis à être vraiment amateur de vin, j'ai développé la même curiosité. J'ai tout de suite eu l'envie de comprendre pourquoi un vin avait tel ou tel goût : cela provient-il du ou des cépages ? de la vinification ? du sol ? etc.

C'est pour ça que la dégustation à l'aveugle m'amuse, car c'est ludique. Et que l'on se trompe souvent, c'est bon pour l'humilité. Bref, plus tu découvres, et plus tu te rends compte que tu n'y connais que dalle !

Après, quand on veut progresser à ce jeu-là, il y a un peu de méthodologie d'analyse sensorielle à acquérir (mais je vous épargnerai un cours magistral, vous trouverez sur le net ou en librairie de très nombreux ouvrages en la matière), et surtout beaucoup de pratique !

Pour moi, un vin, c'est toujours un bonhomme. L'acidité, c'est la colonne vertébrale. Après, ce bonhomme, il a plus ou moins de chair. Il se tient droit ou il est plus voûté. Il est costaud ou il est fluet. Il est paré d'habits de lumière ou fringué comme un clodo. Et caetera.

Chose intéressante dont on parle rarement, c'est le "toucher de bouche". La texture du vin. Plus j'avance dans mon apprentissage des vins, plus cet aspect-là me fascine.

Mais revenons-en donc pour la seconde fois à nos moutons !

Attablés, la partie commença (je ne vais commenter que les vins que j'ai moi-même goûtés, vous retrouverez sur le blog d'Anne Graindorge ceux que je lui ai fait dégustés).

Première bulle servie par Anne.

Robe dorée aux reflets gris, fine effervescence. Un nez très expressif, ouvert sur des notes de fruits secs (amande) et de fruits à pépin, avec une trame minérale, crayeuse, légèrement fumée. En bouche, l'attaque est franche, avec beaucoup de tension et une finale très salivante. C'est très droit, mais pas que. Il y a vraiment du vin derrière, tout en étant très aérien. Il y a de l'amande, et des fruits jaunes dorés au soleil. C'est très mûr, on a l'impression de marcher dans une vignes qui pousse sur de la rocaille chauffée à blanc par le soleil. Et on a un très grand panorama. Oui, ce vin-là, il appelle les grands espaces. On est pas étriqué, on respire à plein poumon.

Avant même d'avoir goûté, juste au nez, j'étais parti directement en Champagne sur un monocépage. Et indéniablement, cela ne pouvait pas être du chardonnay, on était vraiment sur l'aspect fruit d'un pinot. Tellement peu habitué à boire des 100% pinot meunier, je proposais d'emblée un 100% pinot noir brut ou extra-brut.

Champagne 100% pinot, oui. Mais meunier, bien sûr ! Pour ceux qui connaissent bien les vins de Champagne, les notes d'amande, de fumée et de fruits sont en effet caractéristiques de ce cépage. Elaboré par un tout jeune type qui fera sûrement parler de lui, Pierre Charlot. 


Second vin, blanc cette fois. 

Au premier nez, aucun doute. Les notes de bourgeon de cassis indiquent directement le cépage : sauvignon blanc. On perçoit des notes crayeuses également. On sent du volume derrière, on n'est pas sur un Touraine Sauvignon fluet, à l'éxubérance aromatique, qui pousse sur les sables de Sologne. On n'a pas non plus un profil minéral du type Sancerre ou Pouilly-Fumé. Je goûte, c'est très bon. Equilibré, rond tout en ayant de la fraîcheur, avec une jolie amertume en finale. J'imagine un terroir argilo-calcaire, bien exposé. Impossible que cela soit un Saint-Bris. On ne peut pas être à Bordeaux non plus. Alors quoi, une bizarrerie sortie du Languedoc ? Non, je n'imagine pas que cela puisse être ailleurs que dans le Val de Loire... ET JE NE TROUVE PAS OU (bordel) !

Evidemment, c'était un piège. Le vin est produit juste à côté. C'est bien un Touraine Sauvignon, mais produit à Chinon, par l'excellent (et non suffisamment mis en lumière sur le web) Marc PLOUZEAU (Château de la Bonnelière) ! Si vous ne connaissez déjà, ces vins de Chinon sont à découvrir impérativement !
 

Dernier vin, rouge pour finir. 

Je sens à nouveau l'entourloupe. Nez de fruits rouges confits, avec un peu de fruits noirs (confiture de mûre encore chaude), de la réglisse, c'est terreux, limite cèdre et bois de santal. Très solaire aussi, on sent la chaleur du sol qui vous monte au nez. Très kirsché aussi. Déjà plus vieux. En bouche, on retrouve les mêmes notes. Le vin envoie des watts, ça en a sous le moteur. Finale un peu alcoolique et très épicé. C'est un millésime solaire, c'est évident. C'est tellement chaleureux que cela me fait penser à certains bandols. Je sais que ce n'est pas ça pourtant. Ce n'est pas de la mourvèdre, pas de la syrah non plus ni de la grenache. Monocépage, c'est sûr. Mais pas non plus un cabernet, assurément pas un pinot ou un gamay. Et je connais ces arômes par coeur. Des vins comme ça, j'en ai bu des centaines. C'est tellement évident que je ne trouve pas !

Putain de bordel de merde, c'est du merlot !!! 
La quille sortie de nulle part, un putain de Vin de Pays de mes couilles du Jardin de la France !!! Et objectivement, ça met une sérieuse tatane à un paquet de Bordeaux GCC...
 

 
La cuvée "Florine" 2005 100% merlot du Domaine de Champierre, vendu moins de 5 €, par un vigneron inconnu du nom de Jean Volerit à Saint-Pierre-en-Champs dans les Deux-Sèvres. Sur un terroir de quelques ares avec une géologie, paraît-il, proche de celle de Pétrus ! Par un gars proche de la retraire qui aura toujours galéré et passé sa carrière dans l'anonymat le plus complet...

J'avais pas tort sur les watts, le vin titre effectivement à 14,5° ! 

Comme il sort les vins quand ils les considèrent prêts, le dernier millésime à l'achat est le 2008. 

Une très belle journée, une magnifique rencontre humaine, de jolis vins dégustés. Et si c'était ça, la définition du bonheur, finalement...

Le bonheur, c'est aussi d'écouter ce merveilleux morceau interprété par Bebo et Chucho Valdes, le père et le fils, qui ne s'était alors pas vu depuis des décennies... Ecoutez comme le fils, tout en retenue et respect, laisse son père prendre le premier chorus... Bebo s'est éteint le 22 mars dernier à Stockholm. Un des plus grands pianistes du 20ème siècle nous a quittés. Dédicace à Claude, le mari d'Anne.