Jeff Heering, du blog Balthazar Magnum (et membre addictif des VdV Brusseleirs, véritable compagnonerie bachique organisant des bacchanales mensuelle) nous propose ce mois-ci de travailler et de déguster sur le thème "L'Arche de Noé des cépages rares et oubliés..." :

"Un sujet qui traîne dans mes cartons depuis quelques mois, suite à des visites chez des passionnés de leur terroir, des vignerons qui, à contre-courant, cherchent, travaillent, replantent, repiquent  des cépages identitaires oubliés ou rares de leur région, comme un acte de résistance à la conformité" nous écrit-il.

En voilà un beau thème ! Résistant dans l'âme, le p'tit blanc sans col, les questions de diversité et d'identité, ça résonne fort chez lui !

C'est un fait que ces 50 dernières années ont été marquées par une uniformisation des types de vins dans le Monde, élaborés à partir d'une poignée de cépages devenus "internationaux", le plus souvent français (merlot, sauvignon, chardonnay, syrah...), au détriment des cépages autochtones de nombreuses régions viticoles... Alicante, mauzac, groslot, orbois, persan, terret, prunelart, arbanne, melon à queue rouge... autant de cépages rares et oubliés que certains vignerons ont réintroduits ou sauvés de la disparition complète et mettent aujourd'hui en valeur, pour le plus grand plaisir des amateurs de vin !

Bien que je le regrette fortement, je ne jetterais pas forcément l'opprobre sur les viticulteurs qui ont fait ces choix à l'époque, pris dans l'illusion de la "modernité". Certainement croyaient-Ils que c'était la meilleure solution pour développer leur activité, qu'il fallait faire comme les autres... Sauf qu'à mon avis, ce fût extrêmement préjudiciable à bon nombre de vignobles qui, de ce fait, ont perdu beaucoup de leur âme et de leur richesse, devenant de pâles copies sans originalité... Et au final, nombre d'entre eux n'ont récolté rien d'autre que le désintérêt du consommateur. 

Dans l'avenir, il me semble que ce sont a contrario les vignobles et vignerons qui sauront mettre en valeur leur richesse propre, leurs différences et leurs singularités qui pourront tirer leurs épingles du jeu dans un marché du vin fortement concurrentiel et aujourd'hui mondialisé. Et la remise en valeur de cépages locaux me paraît participer de cette démarche !

A nous cavistes, sommeliers, restaurateurs, journalistes et blogueurs de les mettre en valeur ! Il en est de notre devoir et de notre responsabilité !

Ce billet est pour moi l'occasion de revenir sur une superbe dégustation de cépages insolites organisée il y a un an environ par la boutique Au Gré du Vin et des Saveurs Gourmandes à Lille, événement que je n'avais pas pris le temps de relater alors et qui traînait dans mes cartons depuis fort longtemps...
 


Paul et Patricia Sirvent sont deux fadas... Deux fous amoureux des vins du Languedoc-Roussillon et du Sud-Ouest... Tellement fous qu'ils décidèrent un beau jour de quitter la ville rose pour "faire la promotion des vins du midi dans le Nord" !...

Elle, fille de restaurateur provençal, et lui sommelier venant de Toulouse, ils se connurent dans le milieu du vin. Puis montèrent ensemble un restaurant/bar à vin à Toulouse.

C'était il y a plus 25 ans, et ils assistèrent émerveillés aux premiers balbutiements des vins du Languedoc-Roussillon, suivirent les débuts de Léon Barral, Olivier Jullien, Marlène Soria, de la Grange des Pères et bien d'autres...

La découverte de ces vins fût un choc.

Concomitante avec l'envie de se recentrer sur la vente de vins. De ces vins du sud, "vivants, propres, naturels, peu importe le nom qu'on leur donne" comme les décrit Paul Sirvent. "Les vins nous ont portés" me confiait-il. "Nous n'avions pas l'impression de prendre un risque, c'était juste une évidence".

Mais pourquoi à Lille ???!!!

Habitués à bouger professionnellement, la perspective de changer de région n'était pas un frein pour eux. Ils choisirent d'éviter de s'implanter à Paris, par choix de vie, ou dans une région viticole, par crainte du chauvinisme local. Et il leur sembla à l'époque que Lille était en pleine mutation, en plein renouveau, comme l'avait été Toulouse auparavant. Bref, une ville d'avenir, qui pourrait être davantage ouverte à la nouveauté ! Enfin, la fréquentation de la capitale des flandres par de nombreux voisins belges amateurs de vin (note de l'auteur : peut-être plus curieux en termes de vin que bon nombre de français...) semblait présenter un intérêt indéniable.

C'était en 1998, et quand on repense au peu de crédit donné à ces vins à l'époque et à la culture bordelo-bordelaise des gens du Nord, je demeure admiratif devant tant de détermination et de militantisme.
 
Mais ils eurent le nez fin. D'abord de s'installer dans un quartier qui devint quelques années plus tard l'un des plus sympathiques de la ville. Ensuite, sur un segment de marché nouveau par rapport à leurs confrères de l'époque. Enfin, à l'aube des années 2000 qui virent les premiers signes de reconnaissance médiatique des vignobles du Languedoc et du Roussillon.

Petit à petit, ils développèrent leur petite boutique, à la fois cave, épicerie et table d'hôtes le midi... reconnue aujourd'hui comme l'une des références du coin en matières de pépites du midi, solides comme liquides. Le lieu idéal pour déjeuner et s'envoler vers des contrées ensoleillées...

C'était donc une soirée de printemps 2012, et je m'en allai découvrir certains cépages que je n'avais jamais eu l'occasion de goûter. Pour certains dont je n'avais même jamais entendu parler ! Dans ces moments-là, j'ai l'excitation d'un Christophe Colomb avant de fouler la terre nouvelle. Pour un amateur de vin, un nouveau cépage, c'est la découverte d'un nouveau monde. Vierge. Sans repère.
 
Je vous livre mes notes succinctes de l'époque : accrochez-vous, c'est parti pour une dégustation-marathon de 15 flacons iconoclastes (c'était bien le minimum pour faire honneur au président membre des Brusseleirs !), le plus souvent en Vin de Table ou Vin de France du fait justement de leur encépagement. Les franc tireurs me pardonneront les imprécisions, mais les mois ont passé depuis...
 

Domaine Robert et Bernard Plageoles (Cahuzac sur Vere - 81
)
Mauzac 2010
100% mauzac vert
Je connaissais déjà le domaine et ce vin en particulier : minéral, fruits à chair blanche, un peu poivré, joli amertume et notes iodées en fin de bouche. Parfait avec des sushis, des poissons gras, une salade de volaille aux herbes aromatiques. Le mauzac est un cépage blanc ou noir originaire du sud-ouest, typique de l'appellation Gaillac, dont il existe une douzaine de variétés. On en trouve également à Limoux (pour l'élaboration de la Blanquette).


Domaine Benjamin Taillandier (Caunes-Minervois - 11)
Blanc 11
Terret blanc / terret gris

Je découvre ce vigneron installé dans le Minervois sur des terroirs argilo-calcaires, c'est aussi la première fois que je goûte du terret, qu'il soit blanc ou gris. Robe oxydative "blanc-gris", nez un peu fermentaire très "nature" qui me dérange un peu. En bouche, notes prononcées d'amande verte. J'imagine un joli accord avec des fruits de mer. Le terret blanc et le terret gris sont des variétés de terret noir. Le terret blanc provient de la région de Languedoc. Appelé également tarret blanc, terret monstre ou encore bourret blanc, ce cépage est essentiellement cultivé au bord de l’étang de Thau, dans la région méditerranéenne. Il peut également rentrer dans le composition de certains côtes-du-rhône villages, de Châteauneuf-du-Pape, de Costières de Nîmes, de Cassis... Le terret gris, quant à lui, est également connu sous le nom de terret rose, terret bourret, terrain, tarret ou encore bourret. Sa culture est concentrée essentiellement dans le Languedoc.


Domaine Thierry Navarre (Roquebrun - 34)
Cépage Oublié du Languedoc - Terret
100% terret gris

Issu de terroirs de schistes typiques de l'appellation Saint-Chinian, ce vin présente un gros volume, du gras, de l'amertume, avec des notes d'anis, de fenouil, avec néanmoins propre à son terroir. J'aime beaucoup.


Domaine Causse Marines - Patrice Lescarret (Gaillac - 81)
Dencon
100% ondenc
 
Certaines mauvaises langues l’appellent domaine de Grosses Narines. D’autres prétendent que le nom viendrait de sa fille Marine. Que nenni ! Causse Marines fut baptisé ainsi lors de son rachat, en 1993,  eut égard au nom du ruisseau, Marines, délimitant le bas de la propriété. L’ensemble du vignoble s’étendant sur un Causse calcaire fort maigre, l’ambiguïté du nom était toute trouvée… Ce vin à base d'ondenc (les bilingues français-verlan auront compris...) présente un nez très floral et complexe : amande douce, anis, estragon, agrumes, thé, mandarine. L'ondenc est un cépage blanc originaire du sud-ouest particulièrement présent dans les vignobles de Bergerac, Duras, Montravel et Gaillac. Il donne des vins blancs ou liquoreux d'une belle finesse. Souvent utilisé également dans l'élaboration d'eaux-de-vie.


Domaine Fons Sanatis - Benoît Braujou
(Saint Jean de Fos - 34)
B... d'Agniane
100% rolle
 
Sauf erreur de ma part, l'agniane est l'autre nom du rolle (nom employé surtout en Provence), c'est-à-dire du vermentino italien. Nez très expressif, sur des notes lactiques (yaourt à l'abricot ou pêche). Finale sur le poivre blanc et un zest de citron. Très belle minéralité. Semble tailler pour la garde !
 
 
Le Mas de mon Père - Fred Palacios (Arzen - 11)
100% chasan
 
Le cépage chasan est un hybride de pinot noir et de listan (vieux cépage languedocien). Nez de pomme granny-smith, d'abricot, de poire williams.



Domaine Jean-Philippe Padié (Calcé - 66)
Milouise 2009
100% grenache gris
Nous voilà rendus dans le Roussillon avec l'un de mes coups de coeur de la soirée. Un blanc 100% grenache gris pétroleux comme un riesling, aux notes de fenouil, élaboré par Jean-Philippe Padié, un ancien du Domaine Gauby. Magnifique sur une planche de charcuteries !

 
Domaine Thierry Navarre (Roquebrun - 34)
Cépage Oublié du Languedoc - Ribeyrenc
100% ribeyrenc
Rien à voir avec le Bayern de Munich ni une pouf nommée Zahia... Le premier rouge de la soirée nous envoie une grosse dose de jus de raisin épicé à 11°, aux notes prononcées de cassis et de violette ! Avec ses 2 hectares, Thierry Navarre peut se targuer d'être le "plus gros producteur de ribeyrenc au monde" ! EnôÔôrme torchabilité pour ce vin de charcuteries, barbecues et autres apéros dînatoires ! J'adore.
 

Domaine Thierry Navarre
(Roquebrun - 34)
Oeillades
100% oeillade
De retour chez ce défenseur de cépages autochtones, avec ce vieux cépage languedocien aux notes poivrées de fruits noirs, de pruneaux et de griottes !
 
 
Domaine Robert et Bernard Plageoles (Cahuzac sur Vere - 81)
Braucol 2011
100% braucol
De retour chez les Plageoles avec le braucol, autre cépage originaire du Sud-Ouest, que l'on appelle également fer servadou, pinenc, mansois ou encore chalamonchet. J'aime beaucoup les vins issus de ce cépage, car leur fraîcheur et leurs notes végétales ne sont pas sans me rappeler les cabernets francs ligériens que j'affectionne tant.



Nicolas Carmarans (Campouriez - 12)
L'Altre 2010
100% fer servadou

Voici un autre
aficionado des cépages rares, que cet ancien patron du Café de la Nouvelle Mairie (Paris) revenu sur ses terres de l'Aveyron pour devenir vigneron. Cette fois-ci, ce jus de fer servadou marcillacois nous offre une belle matière aux arômes de cassis, avec des notes animales. On l'imagine bien à l'aise avec une daube de sanglier ou une côte à l'os !

 
Domaine Robert et Bernard Plageoles (Cahuzac sur Vere - 81)
  Prunelard 2010
100% prunelard

Quand on parle de cépages autochtones dans le Sud-Ouest, on revient toujours chez les Plageoles et leur conservatoire des 14 cépages endémiques de l'AOC Gaillac ! Cette fois-ci, on tape dans le dur avec ce prunelard tannique aux arômes de cassis et de mûre écrasée. Il paraîtrait que ce cépage appartient à la famille du malbec puisqu'on le surnomme également le côt à queue rouge. Un vin à attendre pour le laisser s'exprimer au mieux sur un magret rôti aux baies rouges !

 
Domaine Fons Sanatis - Benoît Braujou
(Saint Jean de Fos - 34)
Senescal - L'art Amon 2006
100% aramon

Avec l'alicante-bouschet, c'est l'autre cépage dont je n'avais jamais entendu parler. Il viendrait d'un village qui porte le même nom dans le Gard (?). Apparemment l'un des cépages les plus productifs du monde qui n'est quasiment plus planté. Benoît Braujou en tire un jus haut en couleur, dense, aux arômes de fruits noirs et de fruits des bois. Taillé pour une garde de 10 ans à n'en pas douter. Le meilleur copain du chasseur.


On termine cette dégustation-marathon (accompagnée avec les délicieuses charcuteries de la maison) avec une larme de "Vendanges Dorées", une dernière douceur du Domaine Plageoles, vin blanc liquoreux composé à 60% de l'en de lel, 30% de mauzac blanc et 10% d'ondenc...
 
"a change is gonna come, oh yes, it will !..."

 
 


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