L'amateur de vin est souvent gourmand. Je dirais même plus, il est généralement gastronome. Tel est indéniablement mon cas, bien que je sois un piètre cuisinier. Par contre, pour ce qui est d'honorer dignement les plats des autres, en l'occurence un délicieux colombo de poulet à la Martiniquaise préparé par ma femme, je suis un champion.
Mon bonheur, mon fils, ma bataille : associer LA bouteille qui sublimera le plat !
Trouver l'Accord Parfait pour les papilles.
Le Saint-Graal hédoniste.
Ou quand 1+1 font 3, tel le divin enfant de l'Amuuur.
Mais, je m'égare.
Pour ce faire, je descendais donc la veille du repas à la cave pour dénicher le flacon qui saurait déclencher un puissant orgasme culinaire aux convives.
Et, le P'tit blanc sans col, ce qu'il vous conseille chaudement de boire avec des plats épicés ou sucré-salés, ce sont des
vins blancs contenant un peu de sucres résiduels, de type "tendre" ou "demi-sec" (voire moelleux, si le vin est sous-tendu par une bonne acidité). Surtout, évitez un vin rouge tannique, qui se mariera mal avec le sucre et qui ne fera que mettre du feu sur les épices présentes dans le plat. Ou un vin blanc trop sec. Optez plutôt pour un rosé vineux
(Bandol ou Tavel, par exemple) ou un vin blanc avec du gras
(du Rhône ou du Languedoc-Roussillon, par exemple, à base de grenache blanc ou gris, roussanne, marsanne, maccabeu, etc.).
Après avoir hésité entre un Vouvray 1/2 sec de Foreau et ma dernière bouteille de Minéral+ 2009
(sec tendre) du montlouisien Frantz Saumon, mes doigts saisirent délicatement l'unique quille de
GRASBERG 2007 du
Domaine Marcel Deiss trônant dans mon humble cave.
J'ai toujours beaucoup aimé les vins de Jean-Michel DEISS, biodynamiste exigeant et poète sur les bords, qui a réintroduit en Alsace la notion de complantation, à savoir le fait de planter sur un terroir donné plusieurs voire la totalité des cépages alsaciens, le meilleur moyen selon lui pour en tirer toute la quintessence.
Et alors que ces différents cépages ont normalement des cycles végétatifs différents, Jean-Michel Deiss s'est aperçu qu'au fil des années, le terroir prenait le pas sur le variétal, les cycles s'harmonisant. Contrairement à un assemblage, les différents raisins sont donc vendangés en même temps et pressés ensemble. A l'époque, il y a une vingtaine d'année, il ne s'était pas fait que des amis chez ses confrères alsaciens, tant la notion "Alsace = monocépage" était érigée en dogme !
Moi, c'est tout le contraire : la complantation, ça m'éclate. Chaque bouteille me faisant pénétrer dans un univers inconnu jusqu'alors.
Je m'explique.
Quand je goûte un riesling, je m'attends à un certain type de profil aromatique. Idem pour un vin issu de pinot gris ou de gewurztraminer, tant ses cépages ont une identité forte et facilement reconnaissable sous leur forme "variétale". Mais quand vous goûtez à l'aveugle un vin comme le Grasberg composé majoritairement de riesling mais aussi de pinot gris et de gewurztraminer, vous ne savez tout simplement plus où vous habitez.
Et c'est tellement bon, la surprise. Donc, quand je goûte un vin de ce domaine, issu d'une parcelle complantée, je suis un peu comme un gamin le matin de Noël.
"Bon, il nous parle de Grasberg, mais c'est quoi, c'est où ?" allez-vous me dire. C'est simple, vous tournez la bouteille, tout est indiqué sur la contre-étiquette.
Couleur d'or ambrée. Nez très expressif, précis et raffiné. On perçoit d'abord le riesling, avec ces notes pétrolées. Effectivement, on ne t'a pas menti sur la marchandise, tu te prends un gros uppercut d'oranges sanguines et d'agrumes dans le pif. En bouche, c'est tout aussi sublime : les sucres résiduels sont complètement fondus dans le vin, l'équilibre avec l'acidité est parfait, tout est mêlé, tout est en place aromatiquement, tout est cohérent, la finale, minérale, s'étend langoureusement...
Accord majeur = fondamentale + tierce majeur + quinte juste
Avec le plat, le voici, l'accord majeur entre les arômes du vin et le lait de coco et le colombo, sa sucrosité enveloppant les épices, son acidité donnant du peps au plat.
L'autre pavé dans la mare jeté par Jean-Michel Deiss est la notion de
"1er cru" qu'il aimerait voir distinguer un certain nombre de terroirs d'exception non classés parmi les
51 grands crus alsaciens, à l'instar des climats bourguignons.
L'occasion faisant le larron, je décidai de contacter Jean-Michel Deiss, pour lui poser quelques questions sur ces thèmes
(auxquelles il a accepté très gentiment de me répondre, alors qu'il était en pleine vendange, qu'il en soit ici sincèrement remercié).
Parlez-nous de la complantation, que vous avez remise au goût du jour il y a une vingtaine d'année. A l'époque, cela avait fait grincer quelques dents, me semble-t-il. Qu'en est-il aujourd'hui ? Observez-vous un développement de cette pratique chez les autres vignerons ?
La complantation se développe, souvent accompagnée de complantation d’arbres fruitiers (agroforesterie), à mon exemple. Il y a déjà environ une quarantaine de producteurs qui ont renoncé à l’indication du cépage, c’est-à-dire à la vigne pure... les choses avancent donc !
Où en est la future hiérarchisation des AOC alsaciennes ? La mention "1er cru" verra-t-elle le jour ?
La demande est actée à l’unanimité des instances, environ 120 dossiers de 1er Crus sont déposés, on en attend encore environ 100. Donc ce niveau d’ambition existe, calé sur les Grands Crus (57 hl/ha au lieu de 55 voir 50 pour les GC).
3) le consommateur est souvent perdu face aux vins alsaciens, qui contiennent souvent des sucres résiduels en plus en moins grande quantité. Quid de l'indication de la sucrosité sur les contre-etiquettes ? Verra-t-on l'apparition de la dénomination "1/2 sec" comme à Vouvray ou Montlouis, par exemple ?
Je ne suis pas sûr. Il me paraît plus probable que les vins industriels de cépages seront secs par défaut, les vins de terroir et de cru ayant eux une définition de sucrosité par terroir.
Propos recueillis le 29 septembre 2014
PS : lire aussi la fabuleuse dégustation d'
Altenberg de Bergheim (verticale 1994-2012) par
Patrick Böttcher sur son blog
Vins Libres.
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