Le mois dernier, au Club AOC (Association Oenologie et Culture), le fabuleux cépage pinot noir fût à l'honneur. Pour cette dégustation comparative, nous avions décidé de ne proposer que des vins issus de la partie septentrionale de la France : depuis sa Bourgogne natale jusqu'aux portes de l'Atlantique en Vendée, en passant par le vignoble du Centre-Loire.
Car si nous avions voulu représenter ses innombrables facettes, la dégustation eut été interminable, tant ce cépage a traversé les frontières, pour être planté aujourd'hui dans un grand nombre de pays, sur tous les continents.
Revenons-en justement à ses origines bourguignonnes : il semblerait que ce soit les romains qui sélectionnèrent des vignes sauvages et les cultivèrent dans cette partie de la Gaulle occupée. Ce cépage romain antique se nommait l'Allobrogica. Il fallut attendre le Moyen-Âge pour qu'il connaisse un essort et une diffusion, via les Monastères, dans les régions alors d'influence germanique : Allemagne (+ de 11 000 ha aujourd'hui), Suisse, Autriche, Alsace, Roumanie...
Dans une deuxième phase, il fût introduit dans les pays dits du "Nouveau Monde" via l'émigration germanique : USA (Oregon, Californie, Long Island), Canada (Ontario), Nouvelle-Zélande, Australie.
En France, on en retrouve, outre la Bourgogne, dans le Val de Loire (Cher, Indre, Loire-et-Cher, Loiret, Allier, Vendée), en Alsace, en Champagne, dans le Jura et dans le Languedoc.
D'un point de vue cultural, ce cépage nécessite un terroir qui affaiblit sa vigueur, il est sensible aux maladies (mildiou, pourriture grise, cicadelle). Il donne généralement des vins d'une rouge ruby, Ses baies, d’un noir légèrement bleuté sont petites et serrées. Elles donnent un jus incolore et sucré. On y décèle des notes de fruits rouges (cerise sous toutes ses formes, framboise, fraise, groseille...) et noirs (cassis). En évoluant dans le temps, les vins peuvent présenter des arômes de rose fânée, de réglisse, de pruneau, des notes fumées, animales, de gibier, de cuir...
Véritable "éponge à terroir", il existe autant de vins que de lieux qui l'ont vu naître, ce qui en fait tout son charme, et celui des vins de Bourgogne en particulier, où il règne en maître. Voici quelques exemples, comme autant de facettes de ce divin cépage...
On débute notre périple en partant de Westhoffen, petite bourgade "capitale de la cerise" alsacienne située à 25kms à l'Ouest de Strasbourg, au
Domaine Loew, précisément.
Héritier d'une famille de vignerons présents à Westhoffen depuis le XVIIIème siècle, Caroline et Etienne Loew ont repris en 1996 le domaine de 6,5 hectares, dont une parcelle de Grand Cru Altenberg de Bergbieten et des vignes sur le coteau très qualitatif de Bruderbach
(auparavant, les parents d'Etienne étaient coopérateurs). Devenus vignerons indépendants, ils convertissent le domaine à l'agriculture biologique et biodynamique en 2009. C'est aujourd'hui l'une des étoiles montantes du vignoble alsacien.
Dégustation : nez précis et élégant sur les fruits rouges
(framboise, fraise, cerise), notes fumées. En bouche, on retrouve les mêmes arômes, soulignés par une belle minéralité. Le vin est fin et très digeste, avec une finale qui fait ressortir des notes poivrées.
Le
Domaine Amiot-Servelle est aujourd'hui dirigé par Elisabeth et Christian Amiot. Leurs terroirs sont principalement situés sur les meilleurs premiers crus de Chambolle-Musigny, avec une petite extension dans le Clos de Vougeot voisin, rendus célèbres par les moines cisterciens. Les vignes sont cultivés en lutte raisonnée jusqu'à 2003, puis en bio à partir de cette époque
(début de certification en 2008). Ce Chambolle-Musigny provient de raisins issus de 8 parcelles de sols divers. Il a été élevé 18 mois en fûts (dont 20 à 30% de chêne neuf).
Dégustation : le vin est solaire et concentré, sur un registre empyreumatique
(cacao, cuir). Pas de doute, on est bien 2009, années solaire en Bourgogne. Certaine puissance et belle longueur.
Nous voici arrivés en Centre-Loire, dans le Cher au
Domaine Vacheron, pour vous parler de la cuvée
"Belle Dame" 2010, élaborée par Jean-Dominique et Jean-Laurent Vacheron. Ce domaine fait partie de l'élite à Sancerre, et fût le premier à être certifié en biodynamie en 2006.
Cette cuvée fût classée "2ème meilleur vin rouge de Loire 2010" par la Revue du Vin de France.
Dégustation : Finesse, arômes de griotte et notes fumées. Minéralité +++. Indéniablement l'un de mes coups de coeur de la soirée !
L'invitée de la soirée fût cette bouteille de Pommard "Les Vignots" du Domaine Chantal Lescure, rapportée par l'un des convives.
Fondé en 1975 par Chantal Lescure et Xavier Machard de Gramont à Nuits-Saint-Georges, il appartient désormais à leurs deux fils, Thibault et Aymeric Machard de Gramont. Ce domaine de 18 hectares produit des vins bio dans de nombreuses appellations de la Côte de Beaune et de la Côte de Nuits. François Chavériat est engagé comme maître de chai en 1997 et oriente le domaine vers le bio dès sa prise de fonction.
Dégustation : nez superbe et ouvert aromatiquement mêlant puissance et finesse aromatique, tout à fait caractéristique d'un Pommard. En bouche, même topo. Bref, très joli flacon.
Placer un Givry 1er cru après un Pommard, c'est un peu osé, mais ça se tente (vu le niveau de la sélection, l'ordre n'était pas si évident à définir, d'autant que je voulais alterner si possible la Bourgogne et les autres appellations) ! Finalement, c'est passé comme une lettre à la poste.
Après la Cote de Nuits et la Côte de Beaune, nous voici donc rendus en Côte Chalonnaise, dans l'un des domaines les plus fameux de Givry, chez Jean-Marc et Vincent JOBLOT.
A Givry, et nul part ailleurs, puisque les 14 hectares du domaine sont tous plantés (à 11 000 pieds / ha) sur la commune. Le Clos de la Servoisine fait partie des climats classés en 1er cru les plus connus, avec le Clos du Cellier aux Moines (mais plus calcaire que ce dernier).
Dégustation : moins de matière et de structure tannique que le précédent, forcément, mais quel équilibre (et déjà si agréable à boire) !
Avec le vin suivant, on change radicalement de région et de registre ! Nous voici transportés à l'Ile d'Olonne au
Domaine Saint-Nicolas de
Thierry Michon, figure incontournable de la jeune AOC Fiefs Vendéens. Créé en 1960, il fut repris par Thierry qui le convertît à l'agriculture biodynamique dès 1995. Il compte aujourd'hui 32 hectares de chenin, chardonnay, groslot gris, gamay, cabernet franc, négrette et... pinot noir.
Cette
"Grande Pièce" 2010 est issue de vignes d'environ 25 ans, plantés sur des
sols schisteux sur des légers coteaux exposés sud-ouest. Rendements : 25 hl/ha. Egrappage à 80%. Macération en cuve bois ouverte pendant 14 jours. Elevage en double barrique neuve sur 15 mois.
Dégustation : ça, c'est pour la partie technique, mais dans le verre, ça raconte quoi ? En premier lieu, c'est la robe sombre du vin qui frappe : on est bien loin du rouge ruby ! Au nez, on ressent la concentration du vin, dans un mélange de fruits noirs, de réglisse et d'épices. Arômes que l'on ressent en suite gustativement. C'est bien simple, à chaque fois que j'ai eu l'occasion d'en boire, j'ai été "déstabilisé" par la puissance et la concentration de ce vin, tellement on est loin des standards bourguignons. Bref, en un mot, un vin ATYPIQUE ! Et somptueux qui ne demande qu'à patienter tranquillement en cave pour vous donner le meilleur...
(NB : c'était déjà très bon en 2010, après un passage en carafe, mais ça ressemblait quand même un peu à un infanticide tant ce vin est promis à un bel avenir)
Retour en Côte de Beaune pour s'attaque à l'un des domaines phares de Volnay, à savoir
la Pousse d'Or ! Disons-le tout net, avec ce vin, on passe un cran à la fois tarifaire
(environ 75 €, soit plus du double de la moyenne des autres vins) et qualitatif
(encore heureux, me direz-vous) !
Selon la légende, ce domaine remonterait aux moins aux Ducs de Bourgogne et ses vins seraient même connus depuis le IVème siècle ! Ce sont les familles de Chavigné et de Lavoreille qui jettent les bases de sa forme actuelle en 1954. A l'époque, il se trouvait à Santenay, avant qu'il n'émigre vers Volnay dix ans plus tard, au moment de la revente aux familles Ferté, Potel et Seysses ; date à laquelle ils rachètent la fameuse maison qui orne le flanc du village au-dessus du
Clos d'Audignac, appartenant alors à l'évéché de Dijon.
Le domaine acquiert sa réputation internationale durant la période de 1964 à 1997, sous la gérance de Gérard Potel, avant qu'il ne soit repris par Patrick Landanger, l'actuel propriétaire, ancien industriel passé de l'équipement chirurgical à la vigne.
Aujourd'hui, les 18 hectares sont conduits selon les principes de l'agriculture biologique, bien que le domaine ne soit pas certifié. Le domaine produit environ 90 000 bouteilles, principalement des 1ers Crus et Grands Crus, à l'instar de
(attention, roulements de tambour) : Clos de la Roche
(Morey-Saint-Denis), Bonnes-Mares et Les Amoureuses
(Chambolle-Musigny), Clos du Roi et Bressands sur le GC Corton, 4 premiers crus à Volnay, dont 3 monopoles
(Clos de la Pousse d'Or, Clos des 60 ouvrées et Clos d'Audignac)... Bref, vous avez compris : ça envoie du gros.
Les vins sont vinifiés lentement, le plus naturellement possible et élevés 18 mois en fûts, dont environ 30% de bois neuf.
Le
Clos d'Audignac mesure 0,80 ha. C'est un terroir de marnes et d'éboulis calcaires orientés nord-est. Les vignes ont été plantées en 1966.
Dégustation : comment vous dire, j'ai juste marqué "EXCEPTIONNEL !". Voilà, un moment, il faut se taire, arrêter d'intellectualiser la chose, poser le stylo et profiter de l'instant présent. Ce que j'ai fait, vous pouvez me croire !
Bref, c'est aussi ça l'intérêt de rejoindre un club de dégustation : boire des vins hors de prix que l'on ne s'achèterait jamais.
On termine cette jolie dégustation avec eul' copain
Minchin, Bertrand de son prénom, le
"Magicien du Berry" comme l'avait surnommé Marthe du blog l'Actu du Vin, après une visite au domaine.
Bertrand, c'est un gars super, gentil comme tout, avec des chemises de toutes les couleurs. J'ai eu le plaisir de l'assister sur son stand au dernier Salon des Vignerons Indépendants de Lille. Vous l'aurez compris, j'aime le personnage ET ses vins. Ce qui n'est pas toujours le cas, soit dit en passant.
Bertrand, il a deux domaines, l'un en AOC Ménetou-Salon, sur le cru Morogues : la Tour Saint-Martin. L'autre en AOC Valençay et Touraine : le Claux Delorme.
Bertrand, il a également des enfants, dont Célestin et Honorine, prénoms dont il a baptisé ses grandes cuvées en rouge et blanc. C'est donc la cuvée
Célestin sur le millésime
2005 qui vint clore cette soirée.
Dégustation : bon, c'était un pari de passer derrière le
monstre précédent, mais ce Ménetou-Salon de haute volée le fît avec panache, sur un registre tertiaire tout en subtilité, sans pour autant rivaliser avec son illustre cousin bourguignon. C'était en tout cas intéressant de goûter un vin de 10 ans d'âge de cette appellation, même si du coup, je préfère son profil âgé de 4-6 ans.
Conclusion : un joli panel de pinots noirs septentrionaux, un niveau très élevé et homogène (dans une fourchette de prix allant de 13 € à 75 €) et surtout une singularité de chaque vin proposé tout à fait passionnante. En termes de rapport qualité-prix, le vin du Domaine Loew a bluffé tout le monde (13 €). D'un point de vue strictement "organoleptique", la Pousse d'Or est arrivé bon premier. Le Sancerre de Vacheron et le Fief Vendéen de Michon ont, quant à eux, marqué les esprits par leur styles affirmés, dans deux registres totalement différents.
Bref, I love Pinot Noir. Et vous ?
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