A Vouvray, on connaît surtout les figures historiques, Noël Pinguet (Domaine Huet) et Philippe Foreau (Clos Naudin), qui ont donné au siècle dernier ses lettres de noblesse à l'appellation et ravissent depuis des décennies les amateurs de grands vins blancs de gastronomie. A ceux-là, l'amateur de chenin blanc ne manquera pas de citer des vignerons talentueux tels que François Pinon, Vincent Carême, Sébastien Brunet ou encore Pascal Delaleu. Je pourrais en citer d'autres, notamment le tout jeune Domaine des Grives Saoûles (Anne-Cécile Jadaud et Tanguy Perrault). A noter également les bons rapports qualité-prix de la Cave des Producteurs, en particulier sur les effervescents. A cette liste, enfin, je ne manquerai pas de vous parler des excellents vins de Vouvray produits par les montlouisiens François Chidaine et Jacky Blot.

Néanmoins, une fois nommé une dizaine de domaines à découvrir impérativement, je ne peux que regretter le manque de dynamisme global de cette appellation, comparativement à sa rivale de Montlouis (NB : avant 1953, et la création de l'AOC Montlouis sur Loire, ces vins étaient vendus sous l'AOC Vouvray). Alors que l'AOC Vouvray compte plus de 2 000 hectares (contre environ 400 ha de l'autre côté du fleuve), force est de constater un certain immobilisme rive nord, comparativement à la montée qualitative des vins de Montlouis depuis 20 ans (alors que les terroirs y sont souvent moins bons...).

Ceci étant dit, ce billet n'a pas vocation à faire le procès de cette appellation chère à mon coeur et à celui de Balzac - bien que sous-exploitée (ou sur-exploitée par certains...) - mais plutôt de vous parler d'un domaine vouvrillon dont on n'entend jamais parler sur Internet, et que l'on ne retrouve que rarement chez son caviste préféré.
 

Et pourtant, le Domaine Vigneau-Chevreau, puisque c'est de lui dont il s'agit, propose, du point de vue de l'auteur de ces lignes, les meilleurs rapports qualité-prix à Vouvray, en particulier pour les vins effervescents !

Créé en 1875, ce domaine situé à Chançay, au coeur de l'appellation, est passé de 5 à 28 hectares, cultivés intégralement en biodynamie depuis 1995.

Répartis sur plusieurs communes, les vignes sont situées sur les sols typiques de l'appellation vouvrillonne : les "aubuis" (argilo-calcaires qui reposent directement sur le tuffeau, favorables à la production de vins 1/2 secs et moelleux) et les "perruches" (argilo-siliceux qui comportent des silex en surface, qui donnent généralement beaucoup de minéralité au vin).

Le domaine cultive notamment depuis 1995 le Clos de Rougemont, terroir historique de l'Abbaye de Marmoutier au nord-est de Tours, fondé par Saint-Martin en 372. Car le saint homme ne fût pas que missionnaire de la foi mais aussi vigneron ! Selon la légende, c'est à ce dernier que l'on attribue l'acclimatation du raisin sauvage de la forêt tourangelle, ainsi que la greffe du chenin noir (pineau d'aunis) à partir du chenin sauvage, qui aboutit au chenin blanc (appelé également pineau de la Loire). C'est donc au Clos Rougemont que le saint tourangeau fît planter de la vigne pour servir de médecines aux malades et aux vieillards.
 

Au début du deuxième millénaire, Marmoutier était devenu une des plus grandes abbayes d'Europe occidentale. Nombreux furent les chrétiens de renom (papes et rois) à venir visiter l'abbaye et sa vénérable vigne plantée par Saint-Martin et entourée d'un vignoble florissant sur les coteaux de la Loire aux vallées vouvrillonnes. La révolution française porta un coup fatal à l'Abbaye qui se délabrait déjà durant le siècle des lumières. L'attaque du phylloxéra à la fin du XiXème scella l'histoire de la vigne de Saint-Martin qui tomba dans l'oubli et fût abandonné pendant 2 siècles. Jusqu'à ce que le Comité Interprofessionnel des Vins de Touraine et la Ville de Tours (propriétaire du site) lancèrent un appel à candidature pour refaire vivre ce terroir historique. C'est ainsi que le Domaine Vigneau-Chevreau obtint la concession par bail amphythéotique de 50 ans du Clos Rougemont, avec la ferme intention d'y produire des vins "tranquilles" d'exception. Pour ce faire, ils plantèrent 1 600 francs de pied (ceps non greffés sur des porte-greffes américains) et 10 000 pieds greffés provenant d'une sélection massale dans leurs meilleurs vignes.

Il est actuellement dirigé par Christophe et Stéphane Vigneau, la 5ème génération de vignerons sur ce domaine familial, le premier s'occupant principalement du vignoble et des vinifications, et le second, de la partie commerciale et de l'accueil - Ô combien chaleureux et pédagogique - au domaine.
 

Le domaine a toujours privilégié sa clientèle particulière qui représente 60% et développé ces dernières années le marché export (25-30%), le circuit cavistes/restaurateurs ne représentant donc que 10-15%. Ce qui peut donc expliquer ce tout relatif manque de notoriété. C'est donc une des (très) bonnes adresses que l'on se passe entre autochtones amateurs de chenin ! Ceci est donc un caftage en bonne et due forme ! ;-)

Le domaine produit tous les types de vins blancs vouvrillons, des effervescents aux plus liquoreux, avec une spécialisation sur les premiers. C'est en effet l'un des rares domaines à Vouvray qui maîtrise l'ensemble du processus d'élaboration de ses vins effervescents, contrairement au 3/4 des vignerons de l'appellation qui font appel à un élaborateur.

NB : pour avoir été dans le jury des bulles brut et extra-brut de Vouvray pour le Guide Hachette 2013, je confirme que 80% des vins dégustés à l'aveugle avaient précisément le même goût et le même type d'effervescence... Sans défaut mais sans grande qualité non plus... Pour la plupart, parfaitement indignes de leur AOC...

Autre spécifité, le domaine élabore à la fois des vins pétillants (2,5 barres / litre) et des vins mousseux (5 barres / litre), déclinés en extra-brut, brut et 1/2 sec. J'aime particulièrement leur pétillant brut, typique de l'appellation, qui présentent davantage de vinosité. Ce dernier est réalisé à partir de raisins titrant entre 12,5° et 13° selon les millésimes, qui ont donc parfaitement atteints leur maturité phénolique : après une légère filtration du vin tranquille contenant encore des sucres résiduels, on ajoute simplement des levures pour la prise de mousse en bouteille.

Et comme le chenin, ça a de l'acidité, la fraîcheur et la tension minérale sont au rendez-vous !

Au nez, les arômes de poire et de coing typiques du chenin, auxquelles se mêlent des notes mentholées et de pierre à fusil explosent. En bouche, c'est tendu, c'est net, c'est salin, c'est salivant. Bref, du très bel ouvrage à seulement 7 € TTC la bouteille !

Oui, oui, vous lisez bien... ;-)

Quand je pense aux bulles "vertes" et grossières que certains champenois osent vendre à 15-20 € la quille, à partir de "raisins-petit-pois", de beaucoup de sucre de betterave et d'un temps de latte allongé pour cacher la misère, permettez-moi de sourire...

Les vins tranquilles sont tout aussi délicieux, en particulier les Clos de Rougemont sec, avec également d'excellents rapports qualité-prix : vins secs et 1/2 secs entre 7 € et 8,30 €, moelleux à partir de 15 €.

Si vous êtes de passage en Touraine, je vous conseille donc vivement une visite guidée par Stéphane Vigneau dans leurs caves labyrinthiques creusées dans le tuffeau !

Domaine Vigneau-Chevreau
4 rue du Clos Baglin
Vallée de Vaux - Chançay
37210 VOUVRAY
02 47 52 93 22
contact@vigneau-chevreau.com


 

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