Le 17 juin dernier s’abattaient sur le vignoble vouvrillon des orages de grêle d’une extrême violence, traversant l’appellation Vouvray d’Ouest en Est, en touchant particulièrement les communes de Parçay-Meslay, Rochecorbon, Vouvray, Vernou-sur-Brenne, Chançay et Reugny.

Le bilan, terrible, ne se fait pas attendre : les 2/3 des vignes, soit environ 1500 des 2200 hectares que compte l’appellation, sont considérablement touchés, entre 20% et 100% selon les parcelles.

Vouvray, c’est chez moi. Les vins de ces plus dignes représentants ont constitué pour moi la clé d’entrée dans l’univers des grands vins blancs et, par là-même, m’ont fait tomber amoureux du chenin. J’y ai fait les vendanges. Les images de désolation à la télé me retournent le bide. J’y connais de nombreux vignerons. Je pense avec une infinie tristesse à ceux qui voient des années de travail réduites à néant, en simplement quelques minutes.

Après déjà 2 millésimes compliqués (en particulier 2012 avec des rendements très faibles), nul doute que certains vont jeter l’éponge, fût la première pensée qui me vient à l’esprit.

Au moment du drame, il y a un peu plus d’un mois, j’ai été frappé par le nombre de ragots et d’idioties lus ici et là dans la presse régionale (la Nouvelle-République, pour ne pas la nommer…) et sur les réseaux sociaux. Frappé également par le manque de pudeur avec lequel certaines personnes s’étaient empressées de colporter n’importe quoi sur ce qui était arrivé à tel ou tel vigneron (François Chidaine en particulier, pour ne pas le nommer...).

A contrario, je n’ai pas voulu parler de cet événement « à chaud ». Je n’ai pas voulu faire dans la surenchère émotionnelle.

« Laissons-les estimer avec précision les dégâts, laissons-les encaisser le choc et panser les blessures de la vigne », me suis-je dit à l’époque. Car l’on ne peut imaginer, nous autres observateurs, le traumatisme subi par un viticulteur en découvrant ces vignes en lambeaux...

Après un peu plus d’un mois, il me semble à présent pertinent d’essayer de prendre un peu de hauteur pour estimer globalement la situation, des problématiques qui risquent d’en découler et de tenter d’évoquer (modestement) quelques pistes de sortie de crise. Je ne vous parlerais donc pas ici de cas particuliers, mais plutôt des enjeux pour l’appellation Vouvray dans son ensemble.

Afin d’avoir des élément précis, j’ai pris contact avec le Syndicat des Vignerons de Vouvray (Marie Thomas, chargée de communication) et la Fédération des Associations Viticoles d’Indre-et-Loire (Guillaume Lapaque, directeur). Je tiens à les remercier tous deux sincèrement pour leur disponibilité.

Corrigeons d’abord une contre-vérité et une fausse-bonne idée :

- Il n’est pas tombé de grêle à Montlouis, contrairement à ce qui a été dit ici et là.


- L’achat de raisin (sous réserve d’autorisation préfectorale pour ceux qui n’ont pas le statut de négociant) comme solution ultime préconisé par un journaliste de la Nouvelle République n’a aucun sens : pour pouvoir produire des vins en AOC Vouvray, il faut que les raisins proviennent de l’aire d’appellation… et non des voisins de Montlouis ou de Saumur… Il va sans dire qu’au vu des dégâts, on imagine mal un vigneron de Vouvray en capacité d’en vendre à d’autres… Tout comme cela n’aurait pas de sens d’acheter des raisins ailleurs pour produire des vins mousseux ou tranquilles déclassés en vins de pays ou en vins de France, puisque la problématique est bien de pouvoir honorer des commandes de vins sur le marché des vins en AOC Vouvray.

De la question des stocks et des assurances…


Les stocks disponibles constituent évidemment le problème n°1. Aujourd’hui, le marché peut être approvisionné en vin de Vouvray. Mais que se passera-t-il l’année prochaine et dans 2 ans quand les stocks des millésimes précédents seront écoulés ?... Car pour ceux qui ont eu des vignes très endommagées et qui n’auront pas ou très peu de récolte en 2013, s’effectuera la double peine puisque la récolte 2014 sera elle aussi réduite du fait de l’état des ceps.

Le risque est donc grand qu’à moyen terme, les producteurs perdent des marchés. Et que, s’agissant de la grande distribution ou de l’export, qu’ils ne soient remplacés par d’autres vins (effervescents notamment).

Autre aspect, depuis plusieurs années, la grêle (comme le gel) n’est plus considérée par l’Etat comme une « catastrophe naturelle », puisque les producteurs peuvent contracter des assurances privées supposées couvrir ces risques. Sauf que le coût de ses assurances est très élevé (exorbitant, diront certains…). Résultat, très peu de domaines s’assurent, et préfèrent plutôt constituer un stock quand ils le peuvent. Problème majeur, ce « trésor de guerre » ou plutôt cette « assurance-vie » est lourdement taxée fiscalement.

In fine
, vous l’aurez compris, les « petits » domaines n’ont ni les moyens de contracter une assurance ni de constituer des stocks tampons.

Le coût de la remise en état…

Après une catastrophe pareille, vous devez urgemment intervenir sur le vignoble pour éviter la prolifération des maladies, sauver ce qui peut être sauvé et panser les ceps blessés. A grand renfort de main d’œuvres, ce qui a bien sûr un coût, lequel ne sera compensé par aucune entrée financière puisque la production de l'année sera quasi-nulle… Mais si vous ne faites rien, vous perdez tout… La quadrature du cercle, en somme.

La solidarité s’exprime…

Heureusement, des choses se mettent place et le beau temps est revenu en Touraine !

Comme l’indique Marie Thomas, chargée de communication du syndicat, les vignerons ont reçu de très nombreux témoignages de soutien de la part des professionnels, des amateurs, des journalistes, des blogueurs...

Dans les 15 jours qui ont suivi, tous les vignerons sont mobilisés et la météo plus clémente a permis de travailler dans de bonnes conditions et de favoriser la floraison des grappes rescapées. Peut-être que les difficultés auront resserés des liens souvent distendus entre de nombreux vignerons de l'appellation, c'est tout ce que l'on peut souhaiter...

Le syndicat des vins s’est efforcé de répondre aux demandes des sinistrés et s’est mobilisé pour rencontrer à plusieurs reprises le Préfet et les responsables des pouvoirs publics ; en conseillant aux vignerons impactés par la grêle d’établir un prévisionnel sur 3 ans afin d’anticiper au mieux les difficultés conjoncturelles liées à cet épisode climatique. Le Syndicat a également rencontré une commission d’enquête de la DDT pour le zonage des parcelles grêlées et un éventuel dégrèvement de la taxe foncière sur le non bâti TFNB.

La situation dans les vignes 1 mois après s'améliore (source syndicat des vignerons) : « la vigne repart, le soleil et la chaleur redonnent du baume au cœur des vignerons. Le vignoble reverdit et compense son retard. La croissance est très rapide maintenant sous l’effet de sols chauds et humides en profondeur. En situation climatique normale, les vignes sont aux stades « grain de poivre » à « gros pois ». Pour les vignes ayant souffert de la grêle du 17 juin, le retard des grappes principales est faible (petit plomb). De nouvelles inflorescences apparaissent parfois sur les jeunes rameaux des vignes grêlées et sont au stade grappes visibles, comme le seraient des grapillons ».

Des actions de solidarité ont été mises en place, comme la soirée SOLIWINES organisée à la Guinguette de Tours le 16 juillet avec concert gratuit du groupe MAURITO et surtout rencontres et dégustations avec les vignerons vouvrillons sinistrés. D’autres actions ont eu lieues ou sont en cours, initiées notamment par des cavistes et restaurateurs.


Pistes de réflexion…


Alors qu’en Bourgogne, on évoque aujourd’hui la mise en place de « boucliers anti-grêle », d’autres voix s’élèvent pour permettre d’augmenter les rendements maximums autorisés lors de millésimes exceptionnels, à la fois qualitatif ET quantitatif. Tous les vignerons à Vouvray se souviennent en effet du millésime 1990 où, à la qualité exceptionnelle de la vendange, s’ajoutait une récolte pléthorique. Nombre d’hectolitres avaient donc fini chez le distillateur… Sauf qu’en 1991, terrible année de gel et récolte quasi-nulle. L’appellation mît au moins 10 ans à s’en remettre, et tous à l’époque furent plus qu’amers, en songeant à ces hectolitres perdus... A ma connaissance, ce dispositif est à l’essai dans plusieurs vignobles, en particulier à Chablis (que l’on me corrige si je me trompe). Si le principe me semble pertinent, il conviendrait néanmoins de « border » au maximum ce type de dérogation, pour ne pas laisser la porte ouverte à toutes les dérives.

L’autre levier pour se prémunir de ses catastrophes climatiques serait d’abaisser la fiscalité sur les stocks pour permettre aux producteurs de constituer des stocks-tampons suffisants (en plus, cela ne ferait que renforcer la qualité des vins effervescents...). Des actions sont actuellement menées en ce sens en direction des pouvoirs publics.

Et à présent, que peuvent faire les amateurs de Vouvray ? Continuer à en acheter, bien sûr, mais surtout être fidèles à vos vignerons préférés dans les années qui viennent car les effets se verront vraiment sentir à moyen terme !

Et pourquoi ne pas lancer une grande action solidaire ? Comme par exemple une opération de « parrainage des ceps abîmés » ? Cette idée, évoquée avec Guillaume Lapaque, pourrait consister à faire un don par cep. Pour ce faire, plusieurs questions de faisabilité se posent :
- Quel organisme collecterait les fonds ?
- Quel montant par cep ?
- Sur quels critères transparents les fonds seraient-ils distribués ?
- Possibilité pour les donateurs de déduire ces sommes fiscalement ?

Je me tiens évidemment à la disposition des personnes concernées pour apporter tout mon soutien au montage et à la promotion d’une telle opération !

Pour finir, et au lendemain des orages de grêle qui se sont abattus en Bourgogne et à Limoux, j’ai évidemment une pensée solidaire pour tous les autres vignerons des régions touchés depuis 2 mois par les intempéries (Champagne, Cahors, Pommard, Volnay, Meursault…). Si 2012 fût surnommée « deux-mildiou-ze », nul doute que ces événements climatiques resteront dans la mémoire à l’évocation du millésime 2013.

Soyons solidaires ! Et faites comme moi, buvez du Vouvray !


Et si vous préférerez les vins rouges, jetez-vous sur la cuvée "Grêle 2012", petite bombe de fruits rouges et d'épices... un vin issu de la communauté vigneronne pour venir en aide au Château de Roquefort dont le vignoble avait été complètement détruit l'an passé par la grêle.

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