Vendredi dernier, j'ai eu le plaisir d'animer une dégustation sur les vins de Pomerol, l'autre appellation "star" avec Saint-Emilion, de la rive droite bordelaise. Pour ce faire, j'avais couru les rues de Lille et battu la campagne des Flandres pour concocter une sélection aux petits oignons...

Pas si facile de dénicher des vins prêts à boire, d'autant plus quand vous disposez d'un budget limité. Car malheureusement, les prix des "grands" Pomerols sont totalement délirants : sans même parler de Petrus qui bat tous les records (comptez près de 2000 euros pour un millésime à boire...), impossible d'aligner des quilles de Le Pin, l'Evangile, la Conseillante ou Vieux Château Certan sans provoquer une crise cardiaque au trésorier du club de dégustation !
 
Je partais donc sur 6 bouteilles différentes (de 22 € à 78 €), afin de pouvoir illustrer un tant soit peu mes propos. Des domaines connus et d'autres moins, certains en bio, sur des millésimes allant de 2010 à 1995. Tous les vins furent ouvert en début d'après-midi et carafés le soir, à part Gombaude Guillot 1995, que j'ouvris simplement en arrivant sur le lieu de la dégustation.

 
Une septième bouteille s'ajouta à la sélection, apportée par le président de l'association : un Clos l'Eglise 2008.


 
Et pour rigoler, j'apportai une "bouteille pirate" pour débuter la dégustation. En l'occurence un Château de Reignac 2011, "simple" Bordeaux Supérieur, et second vin du domaine (le 1er vin étant le Grand Vin de Reignac), que j'ouvris en arrivant.


 
Mais avant de passer à la dégustation des vins, laissez-moi vous conter en quelques mots l'histoire du vignoble et la spécificité de son terroir.

Historique du vignoble

Ce sont les Romains qui cultivèrent les premiers la vigne. Jadis, deux voies antiques sillonnaient en effet son plateau. L'une était d'ailleurs suivie par le poète Ausone (qui donna plus tard son nom au célèbre 1er cru A de Saint-Emilion) lorsqu'il se rendait du port de Condat, près de Libourne, à sa villa de Lucaniac.

Ce sont ensuite les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (dont les Chevaliers de Malte sont aujourd'hui les héritiers, d'où la Croix de Malte comme emblème des vins de Pomerol) qui développèrent le vignoble, qui devint une étape mémorable pour des milliers de pélerins sur le Chemin de Compostelle, notamment à partir du XIIème siècle et durant tout le Moyen-Âge.

Dévasté et abandonné par les tribulations de la Guerre de Cent Ans, et par les guerres de Religion, le vignoble fût finalement reconstitué au cours des XVème et XVIème siècles. Les Hospitaliers établirent alors leur première commanderie en Libournais. Ils édifièrent un manoir, un "hospice", hélas disparu et une église du roman le plus pur, malheureusement, détruite par un incendie au XIXème siècle. Elle sera remplacée par une église plus spacieuse, dont la flèche se dresse, aujourd’hui encore, au cœur du vignoble.


Son essor commercial débuta au XVIIIème siècle et surtout au XIXème, durant lequel les navires étrangers, amateurs et acheteurs de ses crus contribuèrent à sa renommée outre-mer.

Comme les autres vignobles du Bordelais, il subit de plein fouet la crise du phylloxéra. Pomerol sera à nouveau reconstitué et son développement sera dynamisé par l'arrivée de nouvelles familles de Corrèze et de Belgique pendant l'entre-deux-guerres et après 1945. L'activité importante du négoce joua un rôle primordial pour la commercialistation des vins, d'autant que plusieurs propriétaires étaient eux-mêmes négociants, facilitée par la situation géographique exceptionnelle du port de Libourne, au confluent de l'Isle et de la Dordogne, donnant accès via l'estuaire de la Gironde aux marchés d'Europe du Nord.

Pas étonnant donc que la part de l'export représente aujourd'hui 60% et que ses principaux marchés étrangers soient l'Allemagne, le Benelux, avant le Canada, la Chine, la Corée du Sud, la Grande-Bretagne, la Suisse et les USA.

L'AOC Pomerol

Le Syndicat Viticole et Agricole de Pomerol fût créé en 1900. Dès cette époque, les repsonsables avaient assigné un double rôle au syndicat l’orientant vers la mise en commun des techniques pour l’amélioration de la qualité de l’appellation et vers la défense de cette dernière.

Leur objectif : empêcher les Producteurs des communes voisines "d’étamper leurs barriques au nom de Pomerol".

Et c’est ainsi que par le décret de loi en 1935 qui officialisait la mise en place de l’A.O.C. par l’Institut National d’Appellation d’Origine, il fut facile à Pomerol de définir la délimitation précise de son aire d’appellation et ses règlements. Le Comité National de l’I.N.A.O. n’avait plus qu’à entériner le travail accompli durant plusieurs décennies par le Syndicat Viticole et Agricole de Pomerol.


Spécificité du terroir de Pomerol

Le vignoble de Pomerol se situe sur le plateau descendant en terrasses successives vers la vallée de l’Isle, au confluent de la Dordogne.

Il est limité :
- au Nord par le ruisseau de la Barbanne, affluent de l’Isle. On raconte qu’il séparait les pays de la langue d’Oc de ceux de la langue d’Oil,
- à l’Est par Saint-Emilion,
- au Sud et à l’Ouest par la ville de Libourne.

Le sol de ce plateau est formé en surface de graves plus ou moins compactes argileuses et sablonneuses.

Partout le sous-sol comporte des oxydes de fer que l’on appelle dans la région « crasse de fer » (photos Château Gazin). C’est ce sous-sol qui confère au Pomerol son caractère bien marqué.

La superficie du terroir est de 813 hectares (soit 0,7% de la surface viticole de Bordeaux), cultivés par 138 propriétaires déclarants.

Sur ces terres, le merlot est roi (80%), complété par les cabernets francs (15%) et sauvignon (5%).

Contrairement à Saint-Emilion, il n'y a pas de classement à Pomerol.

Préambule

Pour rigoler, disai-je, je fis goûter en premier, à l'aveugle, le Château de Reignac 2011, considéré par nombre de critiques comme le meilleur domaine en Bordeaux Supérieur, et lui aussi composé principalement de merlot.

A l'ouverture, le vin présente un joli nez sur les petits fruits rouges. Les tanins, encore un peu serrés de prime abord, deviennet plus "aimables" après un peu d'aération. Jolie longueur en bouche. Un vin bien construit, droit et net. Bref, le genre de quille qui réconcilie l'amateur fatigué par les Bordeaux standardisés.

Tout le monde trouve ça très bon. Encore plus quand je dévoile le prix : 8,30 €. "Là, c'est plus très bon, c'est formidable !" s'exclame la foule en délire.

L'occasion pour moi de leur parler de la problématique de la spéculation foncière à Pomerol. Quand le prix moyen de l'hectare en bordeaux supérieur est de 14 000 euros, il avoisine les 400 000 € voire 1 200 000 € à Pomerol ! Dans ces conditions, on comprend mieux l'inéxorable concentration capitalistique sur l'appellation. Pas sûr que dans 25 ans, il y ait encore une exploitation familiale, sauf peut-être l'irréductible famille Techer du Château Gombaude-Guillot !



Dégustation des Pomerols

Château Hautes Graves Beaulieu 2010
4 hectares situés au sud de l'appellation, âge moyen des vignes 30 ans.
95% merlot / 5% cabernet franc, certifié AB depuis 2009.
Vinification naturelle, élevage de 15 mois en fût de chêne français
Propriété de Nicolas Despagne (Maison Blanche, Montagne Saint-Emilion).

2010 : millésime exceptionnel. Vins riches et puissants, de grande garde.

Malgré le carafage, le nez reste encore discret. Il s'ouvre sur des notes de fruits noirs et de violette. Qualité des tanins à souligner. Un belle bouteille à laisser tranquillement vieillir...

Château Fayat 2009
Né en 2009 de la fusion de la Commanderie de Mazeyres, du Prieur de la Commanderie et du Château Vieux Bourgneuf.
16 hectares composés de merlot (90%) et cabernet franc (10%), vignes de 50 ans.
Différents terroirs : graves profonds et sols sableux, sols sablo-limoneux sur argiles, graves sur sous-couches argileuses.
Agriculture raisonnée, sols travaillés, enherbement 1 rang sur deux.
Propriété de Clément Fayat (La Dominique, Clément Pichon), conseillée par Michel Rolland.
Elevage : 70% barrique (50% fût neuf, 30% d'un vin), 30% cuve

2009 : millésime exceptionnel. Puissant, charnu et concentré.

Notes empyreumatiques (cacao), d'épices, de fruits noirs bien mûrs. Tanins très soyeux. Beau vin de garde, typique du millésime.

Château Nenin 2008
Rachat en 1997 par la Famille Delon (Léoville Las Cases)
20 hectares, graves argileux-sableux reposant sur un sous-sol de crasse de fer
75% merlot / 25% cabernet franc
15 à 18 mois en barrique (dont 22% neuves)

2008 : millésime classique, la belle arrière saison ayant apporté la maturité aux raisins. Vins de garde.

Nez encore un peu fermé. Encore une fois, je suis frappé par le velouté apporté par le merlot et le soyeux des tanins. Finale épicée et longue. Encore un joli vin de garde, qui commence à se livrer.

Clos l'Eglise 2008
Au coeur de Pomerol, Clos l'Eglise est un domaine ancien qui, avec 14 hectares, comptait parmi les plus étendus au XVIIIème siècle. En 1925, un classement officieux des crus de Pomerol le place dans le "peloton de tête" avec La Conseillante et Vieux Château Certan.
Composé aujourd'hui de 6 hectares, à proximité de Clinet, à la cassure du plateau de Pomerol. Sols argileux-graveleux avec remontées de crasses de fer.
70% merlot / 30% cabernet franc, vignes de 35 ans
Agriculture raisonnée avec labours
Aujourd'hui propriété des Vignobles Garcin Cathiard (Haut-Bergey, Branon)
Conseillé par Michel Rolland et Alain Raynaud.

Premier vin de la soirée à être vraiment en place. Nez bien ouvert, sur des notes de café, de cuir et de truffes noirs.

Château Gazin 2006
26 hectares contigus à l'Evangile et à Petrus.
Vignes de 35 ans d'âge,
90% merlot / 6% cabernet sauvignon / 4% cabernet franc.
Hautes terrases composées de graves günziennes de surface. Sous-sol d'argiles bleues et vertes incluant des oxydes de fer.
Labours, engrais organique, lutte raisonnée.
18 mois d'élevage (50% fût neuf)
Village au XVIIIème, emplacement probable de "l'hôpital de Pomeyrols".
Propriété d'une très vieille famille, originaire de l'Artois.
Domaine acquis par le grand père, Louis Soualle, au XXème siècle
86% de la production est exportée.

2006 : millésime classique. A déguster aujourd'hui sans problème. Vin de bonne garde.

Nez très expressif. Menthol, violette, réglisse, fruits rouges bien mûrs. tanins très soyeux. On change de catégorie !

Château Clinet 2003
Jouit d'une bonne réputation au XIXème.
En 1860, la famille Constant était également propriétaire de Petrus.
1900-1991 : propriété de la famille Audy
Arrivée de Jean-Michel Arcante, gendre du propriétaire, aux manettes dans les années 80. Avec Michel Rolland, il instaure de nouvelles méthodes : vendanges vertes, effeuillage, vendanges en surmaturité, replantation de merlots à la place des cabernets. Utilisation d'une plus grande proportion de barriques neuves, allongement des élevages (de 13 mois dans les années 1970 à 24 mois).
1991 : rachat par l'assureur GAN
1998 : rachat par la famille Laborde
Jean-Louis Laborde, ingénieur agronome et ancien industriel, entreprend un vaste programme de replantation à long terme, réintroduit le travail du sol. Aujourd'hui, les travaux des vignes sont majoritairement manuels.
En 2003 : production de 1800 caisses (20 hl/ha)
87% merlot, 8% cabernet franc, 5% cabernet sauvignon
Elevage 100% bois neuf (5 fournisseurs différents)

2003 : millésime atypique, marqué par la chaleur. Vins déjà évolués avec des arômes de fruits surmûris et de pruneaux. Bouteilles à boire.

Vin évolué aux reflets orangés. Nez d'orange sanguine, de fruits secs. Tanins et bois parfaitement fondus. Elégant en dépit du millésime caniculaire. A boire.

Château Gombaude Guillot 1995
"Pomerol, terroir, bio" telle est la devise de ce domaine précurseur de l'agriculture biologique dans l'appellation (à partir de 1997, certifié en 2000. En cours de certification en agriculture biodynamique depuis 2006).
6ème génération de vignerons, depuis 1860
Situé au coeur du plateau de Pomerol. 7 hectares composés de graves glaciaires sur argile. 85% merlot / 15% cabernet franc. Vignes de 40 ans d'âge. Rendements de 32 à 47 hl/ha selon les millésimes. Vinification naturelle, élevage en barriques de chêne de l'Allier (dont 50% bois neuf).

1995 : millésime exceptionnel Eté torride et sec. Vins riches, onctueux et parfaitement équilibrés.

Notes de cigare, de pruneaux, de raisins secs, de tabac, de cendres. Un Pomerol dans la plénitude de l'âge !
 


Pour continuer la réflexion, je vous invite à lire une interview de Nicolas Lesaint, le chef d'orchestre du Château de Reignac.

 

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